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PHILOSOPHE
3 novembre 2007

Actes du Colloque sur le Coeur du Groupe La Palabre

LA PALABRE

REVUE de SCIENCES THEOLOGIQUES, PHILOSOPHIQUES, JURIDIQUES et de SCIENCES de la COMMUNICATION de l’UCAO-UUA

Prof. Dibi Kouadio Augustin, Prof. Lou Bamba Mathieu, Prof. Francis Wodié, Prof. Aka Félix, Prof. Antoine Kacou, Prof. Sémiti, Prof. Boa Thiémélé Léon Ramsès, Prof. Assalé Aka Bwassi Dominique, Prof. Adopo François, Prof. Akissi Gbocho.

Directeur de la Publication : Dr Aké Patrice Jean

Rédacteur en Chef : Dr Akpoué Clément

Rédacteur en Chef adjoint : Dr Raoul Kpa Yao Kouassi

Comité de Lecture : Dr Aké Patrice Jean, Dr Akpoué Clément, Dr Raoul Kpa Yao Kouassi, Dr Ezoua Thierry.

 

 

LA TETE, LE VENTRE ET LE CŒUR
Dr VOHO SAHI Conseiller Spécial du Président de la République de Côte d’Ivoire, Chargé des affaires culturelles et de l’education, PARRAIN DE LA CEREMONIE

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Mesdames et Messieurs,

Chers Collègues,

Dans le programme de ces deux journées de réflexion, mon nom figure sous le titre du « parrain » ; une position bien difficile à tenir, car si le parrain est celui qui préside au baptême - ce qui donne toute la mesure de la responsabilité que vous avez bien voulu me confier - le titre a aussi une connotation terrifiante qui en fait le chef d’un réseau, pas toujours catholique. Mais vous m’ôtez de tout doute en précisant que mon rôle est de dire un mot d’encouragement, comme on le ferait à celui que l’on présente au baptême, par lequel il passe à la lumière d’une vie nouvelle.

Mon mot d’encouragement va donc au groupe de recherche multidisciplinaire de l’Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest, la Palabre, qui fait aujourd’hui son entrée dans la communauté des sociétés savantes. Je salue les responsables de l’UCAO et tous les professeurs ici rassemblés dont la présence place incontestablement l’événement sous de bons auspices. Merci pour l’honneur que vous me faites, merci d’honorer la vie intellectuelle à l’Université, merci à l’Institut Goethe qui abritera durant deux jours cette rencontre autour du cœur, merci au Professeur DIBI d’être toujours lui-même.

Ainsi donc, vous avez choisi de parler du cœur ! Le cœur, organe vital pour l’homme, avec ses ventricules et ses oreillettes, le cœur, symbole de l’intériorité humaine ; certains l’ont noir, d’autres l’ont blanc, le cœur voie de l’expansion de l’individu vers autrui, vers le monde ; certains l’ont dans la main, d’autres sous la plante du pied : le cœur symbole de l’homme au monde et du monde en l’homme.

N’ayant pas à présenter une communication sur un sujet aussi profond, je voudrais demander l’indulgence des spécialistes en anatomie et en physiologie, de mes collègues philosophes et des théologiens pour risquer quelques mots que m’inspire le rapport entre le thème et le contexte dans lequel se tient votre colloque, un contexte qui fait du cœur un sujet de méditation appliquée, ou applicable à l’actualité.

Rassurez-vous, je n’ai pas la prétention de parler du « cœur de la crise ivoirienne », ni a fortiori d’y aller car, si un tel point problématique existait, nos intelligences conjuguées l’auraient soigné ou arraché. Il n’en demeure pas moins que l’enjeu de notre histoire contemporaine est de rétablir l’unité compromise. La question que le thème de votre colloque m’amène à poser est donc la suivante : dans quelle mesure une méditation sur le cœur peut-elle aider à comprendre la crise, à défaut de nous en guérir ?

La question me semble d’autant plus importante que s’agissant de fonder ou de rétablir l’unité parmi les hommes, ce n’est pas d’abord au cœur que nous renvoient les philosophes, mais à la tête, symbole de la raison et au ventre, symbole des besoins triviaux. C’est donc par rapport à ces deux niveaux de l’homme que nous pourrons situer la part du cœur dans ce qui nous arrive de bien ou de mal en société, dans les Etats et les nations.

L’importance de la tête paraît si grande que l’homme, dit-on, est un animal raisonnable. Je n’insiste pas sur l’identité métaphorique entre la tête et la raison. Ne dit-on pas de celui qui n’use pas convenablement de sa raison qu’il a perdu la tête ? ! Aussi, est-ce par la raison que la philosophie politique, avec

Thomas Hobbes notamment, explique la naissance, la vie et la chute des Républiques, la paix et la discorde.

La raison, et sur ce point Hobbes est d’accord avec Descartes, est la chose du monde la mieux partagée. De cette égalité découle une égalité dans l’espoir d’atteindre nos fins. De sorte que dans une situation où chacun est gouverné par sa propre raison, tous les hommes ont en partage un droit de nature sur toutes choses, et même, précise le philosophe, « sur le corps des autres. »

La guerre n’est donc pas une fatalité ; elle est constitutive de l’état naturel de l’homme, elle est impliquée dans la nature rationnelle de l’homme. C’est pourquoi, toutes les fois que plusieurs personnes désirent quelque chose qui ne peut être partagée, si chacun n’écoute que sa propre raison, il y aura la guerre. Or on ne désire une chose que pour la posséder et en jouir. Aussi la raison nous impose-t-elle, en même temps qu’elle fonde notre droit à toutes choses, de nous efforcer à la paix en nous soumettant à des conventions garanties par une autorité. C’est là le fondement des constitutions, des lois et de l’autorité politique ; en un mot de ce qu’on appelle le contrat social, un acte de raison résultant d’un calcul des risques sur la vie et les possessions.

Or les philosophes qui s’en remettent ainsi à la tête, à l’intelligence humaine, sont aussi les mêmes qui reconnaissent l’insuffisance des garanties obtenues par ces moyens pour l’unité et la stabilité des communautés politiques. « Les conventions, sans le glaive, nous dit Hobbes, ne sont que des paroles[1] ». On en arrive à ce paradoxe où la paix devrait reposer sur les moyens de la guerre, ce qui instaure un ordre de la précarité, car aucune armée n’est jamais assez forte pour être toujours la plus forte, ni assez cohérente pour être toujours soudée. La moindre division en son sein entraîne un émiettement de la société elle-même avec pour conséquence une situation semblable à celle décrite dans le Léviathan où les hommes, vivant isolément ou en « petites familles », trouveront que se voler et se dépouiller les uns les autres, est une profession d’autant moins condamnable que l’on est d’autant plus honoré qu’on a acquis de plus grandes dépouilles. Je pense que nous ne sommes pas passés loin d’une telle situation.

Mais alors, si c’est à de telles extrémités que conduit une approche rationnelle du vivre ensemble, qu’en est-il de cette part de l’homme qui symbolise les besoins primaires : le ventre ?

On retient volontiers de la philosophie politique de Platon, la célèbre formule selon laquelle il n’y aura de cesse aux maux de la cité que lorsque les philosophes seront rois ou que les rois seront philosophes. On oublie alors que ce n’est pas sur la raison que Platon fonde la communauté politique mais sur le ventre. Relisons quelques extraits de la République, extraits de l’échange entre Socrate et Adimante :

« Ce qui donne naissance à une cité, dit Socrate, c’est l’impuissance où se trouve chaque individu de se suffire à lui-même, et le besoin qu’il éprouve d’une foule de choses…et la multiplicité des besoins assemble en une même résidence un grand nombre d’associés et d’auxiliaires ; à cet établissement commun, nous avons donné le nom de cité, n’est-ce pas[2] ? »

Au fondement de la société se trouve donc l’économie. Mais l’économie elle-même est un moyen au service d’un besoin fondamental : le besoin de manger.

« Jetons par la pensée, poursuit Socrate, les fondements d’une cité ; ces fondements seront apparemment, nos besoins…Le premier et le plus important de tous est celui de la nourriture, d’où dépend la conservation de notre être et de notre vie.[3] »

C’est autour de ce besoin et en vue de le satisfaire, que la cité est née, et que l’État s’organise. Or, l’homme ne se contente pas de manger, il lui faut bien manger ; il ne se contente pas du nécessaire, il lui faut le superflu, d’abord pour lui-même, puis pour les siens ; une vie ne lui suffit pas, il lui faut un train de vie, tant et si bien que les besoins engendrent de nouveaux besoins, à la fin, « le pays qui jusqu’alors suffisait à nourrir ses habitants, deviendra trop petit et insuffisant…dès lors ne serons-nous pas forcés d’empiéter sur le territoire de nos voisins, si nous voulons avoir assez de pâturages et de labours ? Et eux, n’en useront-ils pas de même à notre égard si, franchissant les limites du nécessaire, ils se livrent comme nous à l’insatiable désir de posséder[4] ? » Vous aurez compris la généalogie des armées et des guerres. Le ventre engendre la lutte pour la terre dont l’enjeu est la survie.

L’analyse de Platon sur ce point reste moderne et actuelle. Le besoin de nourriture rassemble les hommes pour fonder une cité sur un territoire. Là où le besoin de nourriture est satisfait, la santé s’améliore et la population s’accroît. La croissance démographique engendre la volonté et la puissance d’expansion qui nécessite l’entretien d’armées pour faire la guerre. Celle-ci, quoique non inscrite dans la nature humaine, semble néanmoins inévitable car le drame de l’humanité c’est qu’il peut accroître sans limite le nombre de ses membres - il semble que ce soit un décret divin : « Soyez féconds, multipliez et remplissez la terre[5] ! » - sur une terre non extensible, ses limites étant fixées dès l’origine.

Où l’on voit que le ventre, comme la tête, conduit aux mêmes extrémités !

Ce sont ces considérations qui amènent à une méditation sur le cœur. Et si le cœur était le remède aux maux que peuvent causer la tête et le ventre ? Que reste-t-il en effet d’une nation, quand ses institutions s’écroulent, quand une armée est vaincue, sinon sa présence dans le cœur de ceux qui l’habitent ou de ceux qu’elle habite, car les pays aussi nous habitent comme l’arbre s’envole avec l’oiseau qui le quitte ! Que restait-il d’Israël pendant la traversée du désert, sinon l’idée d’une nation inscrite sous une alliance avec Dieu dans le cœur de chacun des compagnons de Moïse ?

J’aurais voulu poursuivre ces considérations avec vous, rappeler par exemple que même Platon, qui pourtant a décrété le bannissement des poètes, reconnaît une importance à la poésie qui touche au cœur. « Nous permettrons même, (aux défenseurs de la cité), écrit-il, qui ne sont pas poètes, mais qui aiment la poésie, de parler pour elle en prose, et de nous montrer qu’elle n’est pas seulement agréable, mais encore utile au gouvernement des Etats et à la vie humaine[6]. »

J’aurais voulu évoquer Rousseau, l’auteur du Contrat Social qui, après avoir fondé l’État en raison, fait reposer la survie de la société sur l’harmonie des cœurs.

J’aurais voulu montrer quel avantage nous aurions à voir de nouveaux liens prendre racine dans nos cœurs pour apaiser nos raisons et nos besoins à la fin de cette crise ! Mais ce n’est pas à moi d’en parler, je n’avais qu’à dire un mot d’encouragement.

J’ai simplement voulu dire, profitant de votre indulgence, tout l’intérêt que j’accorde à ce colloque et, au delà de ma personne, l’intérêt que le Président de la République attache à la vie intellectuelle du pays. Fasse Dieu que la crise qui a tourné la tête à certains d’entre nous et rendu d’autres esclaves de besoins primaires, ne jamais assécher nos cœurs !

Je déclare ouvert, le colloque de la Palabre sur le cœur…la main sur le cœur. Je vous remercie.

sahivoho@yahoo.fr

PROF. AUGUSTIN DIBI KOUADIO, PROFESSEUR TITULAIRE DE PHILOSOPHIE, PRESIDENT DU COMITE SCIENTIFIQUE DU COLLOQUE

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Honorables Invités, Mesdames et Messieurs,

Chers Collègues

Comment ne pas lire, dans la circonstance de notre présence en ce lieu qui nous accueille, le signe de la bienveillance amicale et discrète de la VIE ? Que la maison de Goethe nous reçoive pour abriter un colloque sur le cœur, me paraît une situation tout à fait destinale. Le poète lui-même n’accordait-il pas au cœur une importance capitale ? Il invitait l’homme à emplir son cœur de l’Invisible, afin qu’il déborde de félicité. C’est que chez lui, le sentiment est tout (« Gefühl est alles »). Goethe est soucieux de cet accord harmonieux entre l’acuité de la raison et la puissance du cœur.

Empli de l’Invisible, le cœur peut se déployer à ciel ouvert. Il s’ouvrira alors à l’immensité de l’univers pour sentir la présence de ce qui rend visibles les choses, sans lui-même être visible. Sentir la présence, de ce qui veut simplement, dans la brise légère, être accueilli, est-ce autre chose que l’Amour ? Peut-être, est-ce pour cette raison qu’il est dit : « Je pourrais être capable de parler les langues des hommes et celles des anges, mais si je n’ai pas l’amour, je ne suis qu’un tambour bruyant ou une cloche qui résonne[7]. »

Qui n’a pas l’amour se trouve sans lien d’aimantation, d’innervation. Dans cette perspective, le cœur ne renvoie-t-il pas à l’idée de Centre ? Centre a le sens immédiat d’une notion spatiale ; mais ici, l’espace reçoit une idéalité pour signifier ce qui relève de l’éthique et de l’existentiel. Le cœur comme centre est ce qui permet à l’homme d’être chez soi, d’être dans sa propre immanence, d’aller et de venir tout en demeurant le même.

Que plusieurs organes du Savoir puissent, ce matin, se laisser convoquer par ce petit mot « cœur », me semble être le signe qu’il dit vraiment un centre, le centre comme tel, le centre en sa vérité. Ces disciplines cherchent à se tenir dans l’essentiel ; elles veulent se situer en une région précisément centrale, au cœur de ce qui importe, afin de parler d’une vérité qui ne rétrécit pas, mais élargit, qui n’obscurcit pas, mais éclaire, qui ne pétrifie pas mais libère.

Des sciences médicales aux sciences juridiques, par la médiation des sciences théologiques, philosophiques et psychologiques, il s’agira de tenter d’apporter des bribes de lumière susceptibles d’aider à creuser une notion qui est plus qu’une notion, parce qu’elle exprime simplement, au fond, la VIE.

Le mérite revient au Père AKE Patrice, de chercher à nous rassembler, autour d’une « notion », coïncidant avec la vie même, invitant à renouer avec l’intériorité, et rappelant que les raisons d’Unir sont toujours plus fortes que celles de Séparer. Puisse son geste avoir l’audience qu’il mérite et le brillant de l’aurore !

Puissions-nous, ensemble, pour parler comme Platon, « par un examen parallèle, par un frottement analogue à celui de deux allume-feux, faire jaillir la lumière ! »

kdibi@ci.refer.org

PROF. MEMEL HARRIS FOTE, PROF. EMERITE DES UNIVERSITES, PRESIDENT DE L’ASCAD
INTRODUCTION

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Centre et agent principal de la circulation du sang, partie la plus noble de l’homme, parce qu’elle représente son intimité, son intérieur, se confondant avec l’âme végétative, avec l’esprit, principe de la vie corporelle, organe essentiel à la vie, le cœur rayonne dans tout l’organisme humain. Roi et empereur du corps, primum movens, ultatum moriens, quand le cœur bat c’est la vie, quand il s’arrête, c’est la mort.

Si l’anthropologie, « savoir des singularités humaines[8] » (ou encore) « traité de l’homme comme vivant[9] », s’intéresse au cœur à ce colloque interdisciplinaire, c’est parce que cet organe y joue un rôle important et central. Le cœur, nous le soutiendrons, dans notre dispute, est une heurméneutique de l’homme tout entier, tant qu’il est le siège des sentiments et de l’amour, mais aussi de la pensée, de la mémoire et de l’intelligence. Il est le « deuxième principe vital de la personne, selon la conception tetela[10] » et le centre de tout l’homme. Notre première partie montrera en quoi il est un principe anthropologique majeur.

Si Dieu a créé l’homme à son image et à sa ressemblance comme l’affirme le livre de la Genèse[11], ne pourrions-nous pas soutenir que l’anthropologie trouve son sens véritable dans sa dimension transcendantale, c’est-à-dire, dans la théologie ? Le cœur, alors ne sera-t-il pas une habitation pour Dieu ? C’est à cela que nous invite la seconde partie.

Essayons à présent de laisser parler notre cœur, au hasard des lieux anthropologiques africains, non pas pour les repenser, comme le suggère Laleye[12], mais pour montrer que le cœur renvoie à tout l’homme et permet de redire un discours sur l’homme.

1. LA PLACE DU cœur EN ANTHROPOLOGIE

Dans un entretien portant sur le cœur, un guérisseur songhai-zarma répond à Jeanne Bisilliat et à Dioulde Laya en disant : « Lorsque certaines personnes ont une petite maladie, dès qu’on leur parle, leur cœur se lève[13]. » La cause de ce fait est la maladie. Ainsi, selon notre interlocuteur, « par exemple, le weyno (qui) peut rendre fou. Il quitte le ventre pour aller attraper le cœur, car le cœur c’est l’homme (boro). Lorsque le weyno a atteint le cœur et que l’individu veut respirer, le cœur donne l’impression de se fermer, la fermeture se produit pour un court instant, puis il retrouve la santé et peu de temps après la fermeture revient ; dans de telles conditions, son cœur peut ‘ se lever’ facilement car la maldie ne supporte pas les paroles[14]. »

Abordant le problème de la maladie, du point de vue de la sorcellerie, Djomo Lola, quant à lui, parle de l’affaiblissement du soufle, précédé du rapt du principe doi qui est le principe du cœur et de la voix. « Ce rapt, soutient-il, peut être effectué par le sorcier ou tout autre malfaiteur. La personne dont on a subtilisé ce principe biophysique perd la voix et peut sombrer dans un mutisme complet[15]. » Ainsi, si le thérapeute n’intervient pas à temps et de manière efficace, le souffle, et, à sa suite, le principe spirituel, l’edimu, risquent d’être entamés. « Le doi déterminé (cœur), conclut-il, se reconnaît par son expressivité en tant qu’organe vocal. Il est recommandé de dissimuler sa voix au risque d’exposer celle-ci au rapt. On aura donc recours au langage inarticulé considéré comme neutre et inaccessible au rapt. La parole articulée véhicule, (quant à elle), la personne ainsi que son identité[16]. »

« Bine Kani » en Songhai-Zarma, veut dire « quelque chose de bien…bonne nouvelle ». Ainsi le cœur peut être joyeux. A la question : « Est-ce le cœur ou la tête qui pense ? », notre guérisseur, interlocuteur de Jeanne Bisilliat et Dioulde Laya, répond sans hésitation : « Le cœur ! », et il poursuit : « Le cœur peut penser (car) c’est l’affaire de Dieu. Nous sommes tous des êtres humains et notre cœur nous permet à chacun de penser dans son propre cœur mais personne ne sait comment cette pensée se produit[17]. »

Si le cœur peut penser, réfléchir et méditer, c’est qu’il en est le siège. L’Adioukrou lorsqu’il veut traduire cette idée emploie l’expression « M’ew erm ». Il veut alors appliquer son esprit à une chose, en la mettant dans son cœur. Littéralement : « J’ai mis dans mon cœur, je me suis rappelé, je m’en suis souvenu ». Le cœur, alors n’est-il pas le siège de la mémoire, le réceptacle qui se souvient de ce que l’intelligence lui a appris ?

Si tout ce qu’on apprend, qu’il s’agisse de la lecture ou de la pensée est du ressort du cœur, le Songhai-Zarma pense que « le cœur permet d’apprendre vite. (Il) permet d’avoir une tête (pour) comprendre. La peur ordinaire, la compréhension, la bravoure, tout cela vient du cœur[18]. » Les sentiments viennent ainsi du cœur. Que dire alors de la maladie ? N’a-t-elle pas une incidence sur la pensée ?

Il semble que la pensée et la maladie soient liées. L’expérience concrète de notre guérisseur semble corroborer cette affirmation. En effet, selon ses observations, « quand on est malade et qu’on délire, (ce que notre soignant appelle ‘dire les paroles d’autrui’), le cœur ne peut plus penser, car la personne n’est plus en possession d’elle-même ; sa tête est un peu tournée. Si le cœur n’est pas en bonne santé, c’est la maladie pour tout le corps. Alors, le cœur ne pense plus et tout le travail est fait par la bouche et la cervelle[19]. » Lequel d’entre nous ne marquerait-il pas son admiration pour la finesse d’un tel raisonnement, pour la profondeur d’un tel esprit synthétique et stéréométrique ? Dans un tour de main incroyable le cœur organe physique, passe du siège de l’intelligence à la volonté, de la volonté à la réflexion et de la réflexion à l’intériorité, de l’intériorité aux sentiments, aux affections et aux désirs. En un mot le cœur dit toute la personne humaine. Il en est l’interprète, l’heurméneute et l’exégète.

Pour traduire tout cela, l’Adioukrou considère le cœur (m’erm) comme la partie la plus noble de l’homme et le lie aux entrailles (sugŋ). Nous retrouvons cette même idée chez les Mélasiens dont Maurice Leenhardt se fait l’interprète lorsqu’il écrit : « La pensée procède des viscères, ensemble vibratile dont l’organe principal est le cœur, we nena[20]. » De « nena » dérivent « nombre de vocables indiquant les états émotifs correspondant à (des) expressions (telles que) : cœur à nu, cœur déchiré, aplati, partagé[21]. »

Chez les Basaa du Cameroun, nous retrouvons cette même idée selon laquelle le cœur est le siège des émotions, en des expressions telles que : « Nem u nhénd nye[22] » (mon cœur est triste, fâché). Il est le siège des désirs et désire ce qui est bon. Mais aussi, sous l’influence de la concupiscence native, il désire le mal. Le cœur incirconscis s’abandonne aux désirs mauvais. Le cœur méchant est celui du sorcier et Djomo Lola pense que ce cœur « incite l’individu à nuire à autrui à bon escient, de manière gratuite et systématique[23]. »

Le cœur fâché se met parfois à bouillir comme un feu, un volcan qui crache ses larves. L’Adioukrou dit alors que « Erm ebl’m. » Le cœur porte à agir, il est non seulement le principe de l’agir, mais le siège de la volonté. Certains considèrent que posséder son cœur, c’est être maître de sa volonté. Voilà pourquoi ils disent que le sage tient son cœur dans la main droite et le sot dans la main gauche.

Si le cœur est le siège de la volonté, c’est qu’il est aussi celui des dispositions de l’âme. Parmi ces dispositions, certaines sont bonnes, d’autres mauvaises. Ainsi la droiture, la simplicité, la docilité, l’humité découlent toutes du cœur qui est bon. Nous pouvons le vérifier dans cette déclinaison du mot cœur en Adioukrou : Erm qui devient Erm ek’ayl (droiture), Erm nyam em (simplicité), Erm mamn (la docilité), Erm sabu’af (l’humilité).

Mais le cœur a aussi ses défauts. Il est vain, laid, ténébreux, présompteux, pesant c’est-à-dire porté vers les choses de la terre, épais comme la graisse c’est-à-dire stupide et grossier, double, c’est-à-dire hypocrite et inconstant. Hypocrite et inconstant, le cœur devient double parce qu’il marche sur les deux chemins à la fois. Du cœur double naissent l’orgueil (Sos’esewe), l’envie (Erm mamn iy’r em gbЭŋ[24]) qui engendre la discorde (L’ogŋm uwerŋ), la haine qui déchire le cœur et l’amour (L’ewm sos), la crainte qui bouleverse et dissout le cœur et le courage (Erm’ susu.)

Pour conclure cette partie, disons que le cœur est le centre de tout l’homme, son principe interne, à la fois spirituel et animé qui fait son unité concrète et sa détermination morale. Il y a ainsi en lui toute une concentration de la vie physiologique, spirituelle, intellectuelle et volitive. Mais cette compréhension du cœur ne pourrait atteindre son accomplissement que si elle est éclairée par la lumière divine. N’est-ce pas cette vérité que les anciens qui ne connaissaient pas la chirurgie essaient de traduire en disant que le cœur humain est incompréhensible ?

2. LA THEOLOGIE DU cœur COMME ACCOMPLISSEMENT DE L’ANTHROPologie

Les anciens sont unanimes pour affirmer que, comme la vérité est la lumière de l’intelligence, le cœur reçoit la lumière de la vérité divine. N’est-ce pas que le cœur a des yeux que cette vérité illumine. Mais il peut être voilé, être totalement aveugle, c’est-à-dire incroyant et incrédule.Quand il est éclairé, il devient le siège de la sagesse qui est un don accordé par Dieu à l’intelligence. Au cœur des hommes de son choix, Dieu met la sagesse et l’habileté nécessaires pour fabriquer des objets.

Il n’est pas bon de manifester son cœur à tous. Il faut le renouveler à l’aide de la grâce divine et le rendre pur, afin qu’il plaise à Dieu. La joie de la conscience est la conséquence de cette pureté. Cependant personne ne peut assurer qu’il possède la pureté parfaite.

L’action divine se contente d’exécuter des effets voulus par la volonté de l’homme ou des effets mérités par les infidélités antérieurs. Le cœur est appelé à devenir l’habitation même de Dieu. Ainsi l’homme, selon le cœur de Dieu est celui qui lui plaît par l’usage qu’il fait de ses dons. En Inde, en effet, le cœur est considéré comme Brahmapura, la demeure de Brahma. Le cœur du croyant, dit-on en Islam, est le Trône de Dieu. Si, dans le vocabulaire chrétien également, le cœur est dit contenir le Royaume de Dieu, c’est que ce centre de l’individualité vers lequel la personne fait retour dans la démarche spirituelle, figure l’état primordial, et partant le lieu de l’activité divine. Le cœur, dit Angelus Selisius est « le temple, l’autel de Dieu : il peut le contenir entièrement[25]. » Il est, en nous, le symbole même de la présence divine et de la conscience de cette présence.

Dans la tradition islamique, le cœur représente l’organe de la contemplation et de la vie spirituelle. Le mystique Jîlî décrit le coer « comme la lumière éternelle et la connaissance sublime révélée dans la quintessence des êtres créés, afin que Dieu puisse contempler l’Homme par ce moyen. C’est le Trône de Dieu et son temple dans l’homme…le centre de la conscience divine et la circonférence du cercle de tout ce qui existe[26]. »

Le saint Coran dit que le cœur du croyant se trouve entre deux doigts du Miséricordieux ; et une tradition sacrée fait dire à Dieu ceci : « Le ciel, la terre ne me contiennent pas, mais je suis contenu dans le cœur de mon serviteur. Les Noms et les Attributs divins constituent la véritable nature du cœur : le cœur représente la présence de l’esprit sous son double aspect (Connaissance et Etre), car il est à la fois l’organe de l’intuition et le point d’identification avec l’Etre. Le point le plus intime du cœur est appelé le mystère et c’est le point insaisissable où la créature rencontre Dieu[27]. »

Pour les mystiques soufis, le cœur est aussi le Trône de la Miséricorde. L’amour dont il est le siège manifeste en effet l’amour de Dieu. Le cœur aimant est une théophanie de Dieu, le miroir du monde invisible et de Dieu. Pour Ibn al’-Arabi, le cœur du mystique est absolument réceptif et plastique et il en donne la raison : « C’est pourquoi, dit-il, il revêt toute forme en laquelle Dieu se révèle, comme la cire reçoit l’empreinte du sceau[28]. »

CONCLUSION

Histoire naturelle de l’homme, l’anthropologie se fait anthropologie biologique lorsqu’elle met en place, de façon équilibrée, une image de la personne, dans l’étude du coeur. Cette image est dans la nature, mais n’est pas tout à fait de la nature. Si l’homme est à l’image et à la ressemblance de Dieu, l’anthropologie peut-elle se suffire d’être seulement humaine ? N’est-elle pas obligée de lever les yeux pour se faire divine ? Auquel cas, elle devient anthropologie théologique. Le cœur alors peut-il enfermer Dieu lorsqu’il l’habite ?

BIBLIOGRAPHIE

BISILLIAT (Jeanne) et LAYA (Dioulde).- « Représentations et connaissances du corps chez les Songhai-Zarma : analyse d’une suite d’entretiens avec un guérisseur » in Colloques Internationaux du Centre National de la Recherche Scientifique. N° 544, La notion de Personne en Afrique Noire, Paris 11-17 Octobre 1971, (Paris, CNRS 1981).

BONTE (Pierre) – IZARD (Michel).- Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie (Paris, PUF 1991).

CHEVALIER (Jean) et GHEERBRANT (Alain).- Dictionnaire des Symboles (Paris, Jupiter 1982)

LALA (Djomo).- La dynamique de la personne dans la religion et la culture tetela (Kinshasa, Faculté de Théologie catholique 1988).

LALEYE (Issiaka Prosper).- Pour une anthropologie repensée. Ori l’Oni-She (Oi) ou de la personne comme histoire. Approche phénoménologique des cheminemens de la liberté dans la pensée Yoruba. (Paris, La Pensée Universelle, 1977).

LEENHARDT (Maurice).- Do Kamo. La personne et le mythe dans le monde mélasien. (Paris, Gallimard 1947)

LOLA(Djomo).- La dynamique de la personne dans la religion et la culture tetela (Kinshasa, Faculté de Théologie Catholique 1988).

Nouveau Testament en Langue Adioukrou (Côte d’Ivoire)

POCK (Messack).- cité dans Dieu et l’homme. Eléments d’anthropologie pour chrétiens et Eglises d’Afrique. (Yaoundé, Clé 2007).

Prof. Gnagne Yadou Maurice, Maître de conferences ufr des sciences medicales Président de la Société Ivoirienne de Morphologie (SIMORPHO)

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1. Histoire du cœur

Longtemps considéré comme le dépositaire des fonctions vitales chez l’homme, ses battements, les tous premiers qui se produisent dans l’organisme en gestation, d’où leur appellation de ‘’primum movens’’, sont connus depuis le temps d’Homère. Les grecs en ces temps-là pensaient que la conscience siégeait soit dans la poitrine (cœur) soit dans la tête (cerveau). Ainsi posaient-ils, peut-être à leur insu, le problème fondamental de la définition de la mort. Car la psyché, c’est-à-dire l’âme qui est la personnalité de l’individu, était pour eux l’esprit qui gagnait les enfers après la mort, en quittant soit le cœur, soit le cerveau.

Les égyptiens et les contemporains d’Aristote (4ième siècle avant J.C.) considéraient que la conscience avait son siège dans le cœur. La force vitale, le thymos, sous l’effet des facteurs exogènes (la nourriture) et endogènes (le sang) pouvait quitter le corps à la suite d’une blessure, le laissant sans vie.

2. Choix pédagogique:

En me confiant ce thème dans le cadre de ce colloque, mesdames et messieurs et chers participants à cette réunion de partage, j’ai été confronté à un choix pédagogique. Entre un cours magistral classique comme nous avons l’habitude de le faire dans nos amphithéâtres, et comprenant entre autre : la définition de l’organe, son organogenèse, sa description morphologique et topographique, ses rapport aux autres organes, sa vascularisation, son innervation, sa fonction. Ou alors procéder autrement, notamment parler de l’organe en l’inscrivant dans une dynamique historique évolutive des connaissances, à son sujet, qui ont bouleversé l’histoire de la médecine et certains concepts, et autant de certitudes.

Bien que nous reviendrons succinctement sur le premier aspect de cet exposé, j’ai choisi d’insister sur l’histoire du cœur, longtemps considéré comme organe central de la vie, il est d’ailleurs au centre de la poitrine c’est-à-dire dans le médiastin, et constitue le maillon essentiel et central de la circulation sanguine, et dans la connaissance de cette circulation sanguine, source de vie.

3. Evolution des connaissances
3.1. Le cœur dans la circulation sanguine :

C’est William Harvey (1578-1657) qui, au cours d’une brillante démonstration, prouvera que la circulation du sang se fait dans un système clos. Cette découverte fut l’exploit le plus significatif du 17ième siècle en physiologie et en médecine. Avant lui Galien, dans sa théorie physiologique des 3 esprits, affirmait que le sang était produit dans le foie où il recevait l’esprit naturel. Ensuite ce sang acquérait l’esprit vital dans le cœur, et enfin l’esprit animal dans le cerveau. Il semble que pour Galien les hautes fonctions intellectuelles du cerveau connues aujourd’hui, qui ont fait l’objet d’études extrêmement précises, du point de vue de l’évolution ontologique, par des auteurs comme Broca et Brodman, n’étaient pas dévolues au néo-cortex (c'est-à-dire les hémisphères cérébraux d’apparition beaucoup plus récente dans le règne animal), mais se limiteraient, de façon exclusive, au paléo et à l’archi-cortex (les noyaux gris centraux enfouis dans les profondeurs du tronc cérébral) qui seraient, et cela est aussi connue aujourd’hui, dépositaires de nos instincts les plus primitifs ou végétatifs, de notre être inconscient.

Au 2ième siècle de notre ère, Galien observe un cœur vivant et vit qu’il ne se contractait pas d’une manière simple : un côté se contractait d’abord, puis l’autre se mettait aussi en mouvement. Par conséquent, affirme-t-il, ‘’il n’y vit pas de mouvement de pompe’’. Pour lui donc ce mouvement était la preuve que le sang se déplaçait de la cavité droite à la cavité gauche par des petits orifices ou foramens (foramina) dans la cloison membraneuse (septum) qui sépare les deux cavités.

Michel Servet (1511-1553) fut le premier en Europe à envisager un passage séparé du sang à travers les poumons. Cette observation contribue fondamentalement à la mise en place de l’unité fonctionnelle cœur-poumon. En effet poumon et cœur forment un tout physiologique.

Mattéo Realdo Colombo (1516-1559) avance une théorie semblable du transit pulmonaire sur la seule base du raisonnement physiologique. Pour lui, et ceci contrairement à Galien, la cloison du cœur est étanche, les deux cavités (cœur droit et cœur gauche) sont donc de ce fait adiabatiques. Le sang devait par conséquent suivre un autre itinéraire pour passer de la cavité droite à la cavité gauche. Autrement dit le sang droit et le sang gauche ne se mélangent donc pas, ce qui aurait conduit à des troubles fonctionnels graves mettant la vie en danger ou, au pire, est incompatible avec la vie. Ainsi, en observant les dispositions vasculaires artérielle pulmonaire et veineuse pulmonaire, et surtout en faisant le constat que le sang qui sortait des poumons était rouge vif, Galien conclut-il que c’était le même liquide et que le changement de couleur devait s’expliquer par une action physiologique au niveau des poumons. Ce phénomène est connu aujourd’hui de façon précise, et les physiologistes l’appellent hématose. Il s’explique aisément par le fait que le sang et les globules rouges qu’il charrie, en arrivant aux poumons, se déchargent de leur gaz carbonique (qui donne la couleur sombre au sang, telle qu’observer par Galien). Ce gaz carbonique sera expulsé de l’organisme par la respiration, en sa phase expiratoire, tandis qu’il se charge ensuite en oxygène en phase d’inspiration, donnant un sang rouge, riche en oxygène, pour y sortir et aller au cœur gauche en empruntant les 4 veines pulmonaires branchées sur l’atrium gauche à sa face postérieure, puis par ‘’l’orifice atrio-ventriculaire gauche’’, ou ‘’orifice mitral’’, ce sang chargé d’oxygène, dont a besoin l’organisme, arrive au ventricule gauche qui l’injectera dans la circulation artérielle à haute pression.

Andréa Césalpino (1519-1603) fut peut-être le précurseur le plus important de Harvey. C’est lui qui employa l’expression ‘’circulation’’ et pensa en terme de système circulatoire fermé. Cependant il avait des idées très nettes sur un système circulatoire majeur et un système circulatoire mineur. Ce dernier serait le transit pulmonaire du sang.

Césalpino mettait le cœur au centre de tout ce système : pour lui le sang avait son origine dans le cœur, il concevait la circulation en termes de sang chaud qui montait du cœur gauche vers les artères, et de sang froid qui descendait dans les veines et revenait au cœur droit par les veines caves. Cependant il ne concevait pas clairement que le système veineux était exclusivement centripète (c'est-à-dire une circulation veineuse qui converge en tout sens vers le cœur) et ramenait le sang chargé en gaz carbonique au cœur.

Il est donc établit à la lumière de tout ce que nous venons de voir que le cœur est au centre de tout ce système circulatoire, même si le bloc cœur-poumon constitue pour les physiologistes un tout fonctionnel.

Rappelons qu’Ibn - Nafis (vers 1210-1280) avait déjà traité de l’existence de la circulation pulmonaire.

Donc William Harvey, de qui nous devons nos connaissances actuelles sur la circulation sanguine, étudia à Padoue en Italie, haut lieu de la médecine. Il eut pour maître et professeur émérite Fabricius d’Acquapendente (1537-1619), lui-même élève de Gabriello Falloppio (1523-1562) qui donna son nom aux trompes de Fallope de l’utérus, lui-même élève du grand Vésale qui étudia le crâne et ces orifices. C’est ce même Fabricius qui décrivit les valvules dans les veines, observation que son élève Harvey utilisera plus tard pour soutenir sa théorie sur la circulation.

3.2. Les conclusions de Harvey :

Comment Harvey arriva-t-il à ses conclusions ? Là était la grande question fondamentale que le chercheur essaiera de répondre par ses travaux, et qui ouvrira la voie aux connaissances épicritiques sur l’anatomie et la physiologie de cet organe. Connaissances qui révolutionneront le monde au 20ième siècle.

Tout d’abord il ne s’occupe pas que du flux mécanique du sang, et non plus de ce qui se passait dans le cœur, le foie, et le cerveau. Il ne se soucie pas davantage des expériences sur des esprits naturels, vitaux, et animaux qui entraient dans la physiologie de Galien. Cependant il continua à penser que le cœur fabriquait ‘’l’esprit vital’’ qui résidait dans le sang et était l’équivalent de l’âme humaine. Ses arguments se fondaient sur des exemples morphologiques tirés de dissections et d’expériences sur les animaux. Ainsi démontra-t-il que du fait des valvules du cœur et des veines, le sang ne pouvait circuler que dans un sens. En observant que les deux ventricules du cœur se contractaient et se dilataient ensemble, il conclut qu’il n’y avait pas de différence de pression qui pût faire passer le sang d’une cavité cardiaque à l’autre à travers l’épaisse cloison septale. De plus la cloison avait son propre système d’artères et de veines (qui procède du système des vasa-cordis) qui aurait été inutile si le sang la traversait.

Harvey observa aussi qu’après avoir été enlevé à un animal, le cœur continuait à se contracter. Cette observation capitale confirme le fait de l’existence d’un moteur, d’une structure spécialisée autonome initiatrice des premiers mouvements de contraction de la vie, que nous avons appelé plus haut les ‘’primum movens’’. Cette structure c’est ce que les morphologiste appellent le système cardio-necteur, responsable de l’activé électrique autonome du cœur. Pour Harvey, ces faits prouvent que le cœur est bien une pompe et non un organe qui se contenterait d’aspirer le sang.

Ainsi par une expérience sur un serpent vivant, Harvey démontrera que le sang entre dans le cœur par la grosse veine (la veine cave supérieure et inférieure) et en sort riche de son oxygène, par l’artère principale (l’aorte).

Pour conclure avec Harvey, nous parlerons de son plus ardent partisan, Robert Fludd (1574-1637), philosophe mystique et médecin, qui souscrivait à l’analogie du microcosme et du macrocosme. Il concluait que le cœur était au centre du corps de même que le soleil était au centre de l’univers. Toute considération qui renvoie à Copernic et à Galilée à l’échelle de l’univers.

3.3. En résumer de ce qui suit, que peut-on retenir du coeur ?

De sa définition : que le cœur est un organe fibro-musculaire creux, quadricavitaire, situé au centre ou au carrefour du système circulatoire.

De son oganogénèse : comme tout l’appareil cardio-vasculaire, il dérive du 2ième feuillet embryologique, le mésoderme, dès le 16ième jour de la gestation. C’est le premier appareil, du contenu gestationnel, à fonctionner dont l’action est nécessaire pour la poursuite du développement du fœtus.

De cette organogenèse peut-on raisonnablement affirmer que le début de la vie du fœtus commence-t-il au 16ième jour, dès les premiers battements du cœur embryologique ? Cette interrogation et le débat qui devrait en découler posent des problèmes éthiques et moraux qui méritent une profonde réflexion.

De sa morphologie : tout au long de cet exposé nous sommes d’accord avec les auteurs et chercheurs d’hier comme ceux d’aujourd’hui pour dire que le cœur est un organe creux qui comprend 4 cavités deux cavités droites, un atrium droit et un ventricule droit, et deux cavités gauches, un atrium gauche et un ventricule gauche.

D’abord à droite : l’atrium ou oreillette droite reçoit les deux veines caves, la veine cave supérieure en haut et la veine cave inférieure en bas, qui font descendre et remonter le sang sombre riche en gaz carbonique, ce sang transite par le ventricule droit à travers la valve atrio-ventriculaire droite pour aller aux poumons en empruntant la voie de la grosse artère pulmonaire.

Au niveau des poumons va se produire l’hématose, phénomène physiologique au cours duquel le sang sombre riche en gaz carbonique venu du cœur droit va être déchargé de ce gaz pour être enrichi en oxygène et repartir au cœur qu’il pénètre, cette fois-ci par ses cavités gauches.

Ensuite à gauche : à gauche, comme nous venons de le voir, le sang ainsi enrichi en oxygène va arriver à l’atrium gauche en empruntant les 4 veines pulmonaires, deux de chaque côté, à la paroi postérieure de cet atrium, puis ce sang passe au ventricule gauche à travers l’orifice atrio-ventriculaire gauche ou orifice mitrale. De ce ventricule le sang va passer dans la circulation à haute pression à travers l’aorte qui se chargera de le refouler dans tout l’organisme à travers le riche réseau artériel.

De sa topographie : le cœur est au centre de la circulation sanguine avions nous dit ! En effet il est situé dans le médiastin antérieur, dans l’axe médian du contenant et du contenu thoracique et entouré latéralement par les deux poumons avec lesquels il constituera une unité fonctionnelle aéro-circulatoire. Il est recouvert par une enveloppe protectrice : le péricarde.

De ses rapports aux autres organes : ces rapports aux autres organes, ce sont latéralement les poumons comme nous venons de le voir, en arrière les tubes aéro-digestifs (trachée et œsophage) et surtout les gros vaisseaux comme l’aorte qui s’y dégage et décrit ses trois courbes : ascendante, horizontale, et descendante verticale de haut en bas suivant l’axe vertébral, trois courbes qui vont le mener en arrière de l’organe coller à la parois postérieure du tronc. Enfin la grosse artère pulmonaire.

De sa vascularisation : le muscle cardiaque ou myocarde a une vascularisation qui lui est propre (vasa cordis), ce sont les artères et veines coronaires. L’obstruction des premières entraîne un infarctus du muscle qui conduit à une mort inopinée aussi bien qu’instantanée.

De son innervation : le modèle fonctionnel du muscle cardiaque qui agit comme un muscle automatique exige deux types d’innervation :

Une innervation fonctionnelle qui lui assure sa fonction de pompe cardiaque : c’est le système cardio-necteur échelonné depuis la base du cœur jusqu’à sa pointe ou apex, comprenant deux centres émetteurs à activité hiérarchisée qui se poursuivent dans les parois inférieures par un réseau. Ce sont précisément de haut en bas : d’abord le nœud sinu-atrial ou anciennement nœud de Keith et Flack, du nom des deux anatomistes qui l’ont mis en évidence, il est situé au pied de la veine cave supérieure. Il est considéré comme le starter du cœur ; ensuite le nœud atrio-ventriculaire ou nœud d’Aschoff-Tawarra, situé ou localisé sous l’endocarde, c'est-à-dire la couche interne de la cavité cardiaque, en la partie inférieure du septum inter-atrial. Ces deux centres émetteurs en relation se poursuivent par un réseau ou faisceau atrio-ventriculaire ou faisceau de His ou de Kent. Ce faisceau va cheminer dans le septum atrio-ventriculaire et le septum inter-ventriculaire pour se diviser ensuite en deux faisceaux droit et gauche destinés à chaque ventricule.

A côté de cette innervation spécialisée et fonctionnelle assurant sa fonction princeps, le cœur bénéficie d’une innervation somatique, conducteurs des influx intéro et proprioceptifs, qui proviennent des plexus et ganglions cardiaques supérieurs et inférieurs dont les entités sont constituées de neurofibres qui proviennent, elles, des nerfs vagues, c'est-à-dire la 10ième paire crânienne, encore appelée nerf cardio-pneumo-entérique, ou nerf pneumogastrique. Ces nerfs cardiaques proviennent aussi du sympathique cervical.

De sa fonction :

Il aspire dans ses cavités droites (l’atrium et le ventricule droits) le sang des veines riche en gaz carbonique qu’il fait transiter aux poumons droit et gauche via l’artère pulmonaire pour le décharger de son gaz carbonique et l’enrichir en oxygène. Ensuite il réaspire ce sang enrichie en oxygène dans le cœur gauche (l’atrium et le ventricule gauches) et le refoule dans le système circulatoire artériel à haute pression à travers l’aorte. Ce phénomène renferme deux moments : un moment de remplissage des cavités, c’est la phase de remplissage ou diastole et un moment de vidange ou d’éjection du contenu cardiaque c’est la phase de vidange ou systole. L’activité électrique au cours de ces deux moments est explorée par l’électrocardiogramme, comme nous le verrons plus loin.

3.4. La révolution du début et de la fin de ce 20ième siècle :

La révolution de ce 20ième siècle viendra de certaines découvertes qui bouleverseront certains concepts acquis sur la connaissance anatomo-physiologiques de cet organe.

C’est d’abord la découverte de l’appareil enregistreur des activités électriques du cœur, qui donnera naissance à l’électrocardiographe en 1900 par le hollandais Willem Einthoven, avec les premiers examens électrocardiographiques qui permettront le diagnostic des troubles de la fonction cardiaque.

La mise au point en 1953 de la CEC, la circulation extra corporelle, qui a permit de court-circuiter la fonction cardio-pulmonaire, a permis la chirurgie à cœur ouvert et la réalisation des greffes cardiaques.

Et l’exploit en 1967 de la toute première greffe humaine du cœur réussie par le Professeur Christian Barnard au Cap, en Afrique du Sud, donc sur notre continent, viendra couronner un siècle de progrès extraordinaires qui ont fait reculer les limites de nos doutes et de nos ignorances, mais aussi de nos certitudes quant à la connaissance de cet organe qui a longtemps été au début de la vie. Aujourd’hui après plusieurs années de découverte, le cœur est-il encore à la fin de la vie comme il fut au début de celle-ci ? Autrement dit l’électrocardiogramme plat est-il un signe pathognomonique de la mort ? Telle est la question que nous nous posons au terme de cet exposé! Mais mieux puisque nous célébrons, à travers nos connaissances, la vie, ‘’le primum movens’’ signe-t-il réellement le début de la vie du point de vue éthique, au point de nous interdire de poser des actes médicaux qui pour ma part ne sont que des homicides non avoués ?

C’EST À CE COLLOQUE DE LA PALABRE, DE NOUS ECLAIRER AU COURS DES ECHANGES QUE NOUS SOUHAITONS FRUCTUEUX.

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Commentaires
M
Organiser un colloque sur le coeur, n'est-ce pas retourner à la Grèce antique en compagnie de Socrate et ses amis dans le Banquet. je ne doute en aucun instant que le coeur sans être l'organe de l'amour est le symbole de l'amour. Il suffit de regarder les nombreux tee-short : "I love". Frère Michel Koassi MESSAN, CFP de La salle Conakry.
PHILOSOPHE
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