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PHILOSOPHE
3 novembre 2007

Actes du Colloque sur le Coeur du Groupe La Palabre2

LE CŒUR ET LA RAISON CHEZ BLAISE PASCAL L’homme est Raison et coeur
DR. Zacharie BERE DOYEN DE LA Faculté de Philosophie, UCAO / UUA

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Le tandem cœur raison chez Pascal vient de st Augustin qui faisait place à l’intuition et à la foi tout en suivant le néoplatonisme dans sa méthode d’approche de la réalité. Chez Augustin, « (les) rapports entre la raison et la foi comporte trois moments : préparation à la foi par la raison, acte de foi, intelligence du contenu de la foi »[51]. La raison vient avant la foi en tant que prolégomènes de l’acte de foi et après en tant qu’effort de compréhension du contenu révélé. La raison est la condition première de la possibilité de la foi. Seul l’homme croit parce qu’il pense. Et la pensée (mens) est la marque de Dieu sur don ouvrage. Elle est ce qui fait que l’homme est l’image de Dieu. Disons avec E. Gilson commentant st Augustin que « l’homme est à l’image de Dieu en ce qu’il est une pensée qui s’enrichit progressivement de plus en plus d’intelligence, grâce à l’exercice de la raison ».[52] Déprécier alors la raison, c’est déprécier l’image de lui-même que Dieu a placée en l’homme et qui le fait supérieur aux autres êtres et bêtes.

Quant au cœur, selon l’étude de Sellier le terme est employé de 185 fois dans les Confessions. Augustin s’appuie sur l’emploi biblique du terme pour l’enrichir, l’intérioriser. Il désigne chez lui « la cime de l’âme », « la chambre secrète » de l’homme, sa demeure intérieur. Augustin emploie beaucoup d’images pour montrer le rôle de cet organe-faculté. Le cœur est le monde du silence intérieur où l’homme rencontre Dieu. En fait, avec le cœur, tout en s’appuyant sur les sens bibliques du terme, st Augustin a forgé un vocabulaire pour construire la théologie et surtout une spiritualité et une mystique chrétiennes. Et si le cœur peut être dépravé, endurci, assoupi, il est aussi le lieu où il faut retourner et même entrer pour trouver la vérité, c’est-à-dire soi-même et Dieu. C’est ce qu’Augustin a fait dans les Confessions.[53] Le cœur englobe comme l’âme, les domaines de la connaissance, de la volonté et de l’éthique. Il est le moment de l’affirmation de l’unité vivante de l’homme en route vers Dieu. Il est le lieu où toutes les facultés se rencontrent. C’est sur ces bases que Pascal conçoit le rapport entre le cœur et la raison. Il ne s’agit pas de l’influence du Chevalier de Méré, ami de Pascal et des Roannez, « honnête homme » du 17ème siècle qui définit les règles de conduite de cet idéal d’homme que ce siècle présentait au monde.

Notre propos se divise en trois parties : l’homme est un roseau pensant ; c’est le cœur qui sent Dieu ; et la prière comme langage vraie du cœur.

1. Le roseau pensant

La disproportion de l’homme que nous présente le fragment L 199 - B 72[54], nous fait prendre conscience de la place de l’homme dans l’univers et en lui-même. L’homme est un roseau pensant. Cette expression dit ce qu’est l’homme et la place que tient la raison dans le macro comme dans le microcosme. « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant » (L 200 – B 347). Comme le roseau, l’homme est fragile et faible. Pour l’écraser, on n’a pas besoin de tout l’univers. Mais quand même l’univers viendrait à l’écraser, il serait encore plus noble que celui qui le submerge. Car il sait qu’il meurt et l’avantage que l’univers a sur lui. L’univers n’en sait rien. La conscience que l’homme a de la mort et de sa mort fait de lui un être différent, un être à part. Il n’a pas la force d’un lion, d’un éléphant ou d’un buffle. Mais il a l’intelligence ou raison qui fait de lui un « animal raisonnable » pour reprendre la définition d’Aristote. Le fait d’être raisonnable fait de lui un tout autre, au point que, en toute rigueur, on ne devrait plus le classer parmi les animaux. Sa différence est si spécifique et si caractérisée qu’elle en fait un genre et une espèce à part. Quel être humain voudrait être traité d’animal ? Les droits de l’homme et aussi du citoyen, proclamés depuis 1789 et universalisés dans la déclaration de 1948, prennent leur raison d’être dans cette différence. Ils sont basés sur la raison naturelle.

La raison est la marque caractéristique de l’homme. Ainsi même si on peut concevoir l’être humain sans mains, sans pieds et même sans tête, on ne peut le concevoir sans la raison. Ce n’est pas non plus dans l’espace aussi infini qu’il soit, ni non plus dans les possessions qu’il faut chercher la dignité de l’homme, mais dans le règlement de sa pensée. Ce qui fait la dignité de l’homme et sa grandeur, c’est son esprit ou sa raison. C’est pourquoi en réglant bien sa pensée, en ordonnant son esprit, l’homme répond à sa vocation d’être humain. Il s’agit là d’une démarche éthique que seul l’homme peut accomplir.

Dans ses travaux mathématiques et physiques, Pascal a fait luire la raison devant le monde des sciences. Même la « fortune incertaine », par « la géométrie du hasard », est soumise à la raison. Pour Pascal, la raison, accompagnée de l’expérience concrète des faits et d’une rigueur méthodique, fait des merveilles[55]. Il utilisera ses recherches et sa méthode qui s’est montrée efficace au niveau des sciences dans l’analyse qu’il fera de la réalité humaine à la recherche de son sens et de son identité. Pierre Guenancia peut ainsi écrire à propos de Pascal : « Du vide à Dieu[56] Pascal est de son temps. Et même si le silence éternel de ces espaces infinis l’effraie[57], parce que l’homme ne se retrouve plus, étant désormais dans un monde où le centre est partout et la circonférence nulle part, la raison garde encore une place spéciale.

St Augustin faisait comprendre que la chair est une enflure, une tumescence, tandis que l’esprit est inétendu comme un point. Mais cela ne devrait pas nous tromper. L’esprit tient sa force justement du fait qu’il est inétendu, insaisissable. Sa valeur n’est pas d’ordre matériel, quantitatif, mais d’ordre spirituel, qualitatif, plus subtil et plus profond. Pascal reprend merveilleusement l’idée émise par St Augustin, lui qui tirait profit de la nouvelle conception de l’univers et de la découverte de la lunette. « Ce n’est point, écrit-il, de l’espace que je dois chercher ma dignité, mais du règlement de ma pensée. Je n’aurai pas davantage en possédant des terres : par l’espace, l’univers me comprend et m’engloutit comme un point ; par la pensée je le comprends » (L 113 – B. 348). Par la pensée, c’est-à-dire par la raison, l’homme transcende et domine l’univers sensible dans ses composantes spatiales et temporelles. C’est encore par la raison que l’on comprend que « l’homme passe infiniment l’homme » (L. 131 – B. 434).

La dignité de l’homme se trouve dans la pensée. C’est pourquoi il doit travailler à bien penser. Et Pascal y place le principe de la morale.[58] De fait, « la raison commande plus impérieusement qu’un maître car en désobéissant à l’un on est malheureux et en désobéissant à l’autre on est sot » (L. 768 – B. 345). Qui donc voudrait être traité de sot ? Par contre la désobéissance à un maître produit parfois des héros. La pensée est tellement admirable qu’elle est incomparable par sa nature[59]. Elle fait la grandeur de l’homme[60].

Cependant elle a « d’étranges défauts » qui la rendent « sotte », « méprisable », « basse » et « ridicule » (L 756 – B 365). Le plus grand défaut de la raison est la présomption et l’orgueil que Pascal nomme « sa superbe » qui l’aveugle et la ridiculise à la fois. Or ses limites crèvent les yeux.

Le fragment sur la disproportion de l’homme nous montre la raison malmenée, ballottée, tiraillée, incapable de véritable connaissance. Déjà en géométrie, c’est-à-dire le modèle exemplaire de la science exacte, la raison est contrainte à prendre une décision d’arrêt dans sa recherche de l’archè, vu que les principes « qu’on propose pour les derniers ne se soutiennent pas d’eux-mêmes et qu’ils sont appuyés sur d’autres qui en ayant d’autres pour appui ne souffrent jamais de dernier » (L 199 – B 72). Pour Pascal la science exacte au sens propre et fort du mot n’existe pas. « Les hommes sont dans une impuissance naturelle et immuable de traiter quelque science que ce soit dans un ordre absolument accompli »[61]. Ainsi la géométrie ne définit pas les mots primitifs tels que l’espace, le temps, le mouvement, le nombre, l’égalité, etc. Elle se contente de les accepter et de supposer que tout le monde entend la même chose quand ses mots sont prononcés ou écrits. Or, si la géométrie, paradigme de la science, est ainsi imparfaite que dira-t-on des autres connaissances humaines ? « Ce qui passe la géométrie nous surpasse ».[62] La raison est invitée à reconnaître ses limites, sa véritable portée, le rang qu’elle occupe dans l’ordre des choses.

Fera-t-elle appel aux sens ? Ils ne sont d’aucun secours pour elle : ils sont, comme elle, limités, faibles. La raison est toujours déçue par l’inconstance des apparences. Placée dans un univers dont elle fait partie et où tout est causé et causant, elle est dépassée par la finesse et la complexité des choses[63]. Tout concourt à ramener la raison à la raison. « La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la surpassent. Elle n’est que faible si elle ne va pas jusqu’à connaître cela » (L 188 – B 267). La dignité et le bon sens poussent la raison à l’humilité qui la ramène à être ce qu’elle devrait être : la faculté qui fait de l’homme un être humain et non pas un dieu. « Il n’y a rien de si conforme à la raison que ce désaveu de la raison » (L 182 – B 272). Il y a un écart incommensurable qui maintient distant le discours de la raison de la plénitude de la réalité visée.

Si donc les choses naturelles, domaine de la science exacte, dépassent ainsi la raison, que dira-t-on des surnaturelles ?[64] « La maladie naturelle à l’homme » est de croire qu’il possède la vérité. Il est donc enclin « à nier tout ce qui lui est incompréhensible »[65]. Or ce qui est incompréhensible n’est pas forcément contraire à la raison. Même en géométrie il y a de l’incompréhensible. « Tout ce qui est incompréhensible ne laisse pas d’être. Le nombre infini, un espace infini égal au fini » (L 149 – B 430). Que dire alors d’un domaine plus subtil et plus complexe comme celui de la méta-physique et surtout celui de la croyance et de la religion ? Les athées sont dont illogiques et contradictoires en réduisant tout à la matière. « Les athées doivent dire des choses parfaitement claires. Or il n’est point parfaitement clair que l’âme soit matérielle » (L 161 – B 221). Il faut donc, en tout, une ouverture d’esprit qui permette d’accueillir la vérité d’où qu’elle vienne. L’esprit cartésien ne nous bouche-t-il pas des horizons et des pans cachés de la réalité ? Le surnaturel est vite classé dans l’anormal, l’étrange, l’insolite et même dans l’absurde. Or son existence même est une question posée à la raison sur sa domination et la prérogative qui lui donne le pouvoir d’exclure les autres possibilités humaines d’accès à la réalité. Il faut, il est vrai, se méfier de l’imagination. Pascal le fait ressortir. Mais cela doit-il nous pousser à nous enfermer et à enfermer la réalité sur le seul créneau de la raison ratiocinante ?

Aussi sommes-nous conduits à reconnaître que la démarche de l’incroyant n’est pas plus conforme à la raison que celle du croyant. Et même, le croyant est plus soumis à la raison que le libertin, car la foi « dit bien ce que les sens ne disent pas, mais non pas le contraire de ce qu’ils voient ; elle est au-dessus et non pas contre » (L 185 – B 265). Le transcendant n’est pas du même ordre que le sensible pour qu’on puisse les comparer. Seulement, on peut affirmer qu’il n’y a pas de contradiction entre eux. La religion chrétienne ne contredit pas la raison. Seulement, « il faut savoir douter où il faut, assurer où il faut, en se soumettent où il faut » (L 170 – B 268)[66]. La religion chrétienne est « mystérieuse » et « surnaturelle », mais elle n’est ni « absurde » ni « ridicule »[67]. « Ce sera (justement) une des confusions des damnés de voir qu’ils seront condamnés par leur propre raison par laquelle ils ont prétendu condamner la religion chrétienne » (L 175 – B 563). Sous prétexte que la religion comporte des contradictions incompréhensibles et tient un langage de folie, les incroyants la refusent. Ils oublient que « ni la contradiction n’est marque de fausseté ni l’incontradiction n’est marque de vérité » (L 177 – B 384). La raison est donc invitée à reconnaître ses limites, à accueillir même l’incompréhensible, à s’effacer devant d’autres possibilités d’accès à la réalité et à se recueillir dans le silence pour contempler le réel. Le cœur vient alors comme la faculté qui pallie les défaillances de la raison.

2. C’est le cœur qui sent Dieu.

L’esprit n’est pas apte à recevoir les choses subtiles comme l’art de persuader ou d’agréer. Même dans le domaine de la géométrie, il est obligé de se contenter d’un milieu, les termes primitifs ne pouvant être définis. L’esprit et le cœur sont « comme les portes par où (les vérités) sont reçues dans l’âme »[68].

Le cœur est une faculté de connaissance qui perçoit ce que la raison n’arrive pas à appréhender : les vérités divines, par exemple, passent par le cœur pour entrer dans l’âme. « Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur. C’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes » (L 110 – B 282). L’espace, le temps, le mouvement, les nombres et l’être sont donnés par le cœur[69]. Au cœur appartient le fondement de la connaissance. Il le sent. C’est pourquoi il est inutile et même ridicule de lui demander des définitions ou des preuves. Le cœur pascalien renvoie en effet au cœur biblique visité par st Augustin. Il est le « centre de l’être là où l’homme dialogue avec lui-même […], assume ses responsabilités, s’ouvre ou se ferme à Dieu »[70]. Le cœur est principe de la vie corporelle, centre des facultés spirituelles et centre de la vie morale. En cela, il est siège de la pensée intime et de la volonté, de la mémoire et des dispositions de l’âme, des passions et des sentiments, de la conscience et des désirs. Le cœur est un carrefour ou un nœud où se croisent et se nouent toutes les contradictions et les paradoxes de l’être humain.

La religion est donnée par le sentiment du cœur. « C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi. Dieu sensible au cœur et non à la raison » (L 424 – B 278). La raison peut avoir une certaine capacité, mais elle s’arrête à un niveau inutile pour le salut. Elle reste tout simplement au niveau humain sans transcendance et sans signification élevante. Elle n’atteint pas l’essentiel, ce qui donne sens à l’existence humaine. Il faut le cœur pour parachever et exhausser la démarche de la raison.

Aussi peut-on dire que le cœur s’oppose à la raison et la complète à la fois. Il est la faculté des connaissances immédiates qui ne sont pas moins certaines que celles que l’on acquiert par le raisonnement. Il est « la raison intuitive » pour reprendre une expression de Senghor[71]. Le cœur est la faculté de la connaissance qui atteint les réalités profondes et centrales de la vie de l’homme et des choses du monde. « Quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de la raison, mais non pas l’incertitude de toutes nos connaissances, comme (les pyrrhoniens) le prétendent » (L 110 B 282). La certitude du Mémorial est de ce genre, c’est-à-dire du niveau du fondement spirituel. « Certitude, certitude, sentiment, joie, paix » (L 913 – B Mémorial).

La vie ordinaire connaît la place véritable du cœur dans la réalité humaine. « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas ; on le sait en mille choses » (L 423 – B 277). Au cœur revient le sentiment esthétique, le goût[72]. Au cœur appartiennent les intuitions que la raison coordonnera dans le raisonnement. A lui revient l’esprit de finesse tandis que l’esprit de géométrie appartiendrait à la raison. Si parfois on confond le cœur et l’imagination c’est à tort, même s’il est difficile de les distinguer. Car l’imagination passe souvent pour une intuition[73]. Mais quelle distance n’y a-t-il pas entre être converti et penser à se convertir ?[74] Malgré la faiblesse de la raison en ce domaine, l’homme doit demeurer vigilant pour ne pas tout confondre et mélanger la chèvre et le chou. Le cœur est le siège des connaissances intimes et immédiates, celles qui sont du domaine de l’intuition. Exprimant ce qui vient du centre et du fond de l’âme, il comprend en lui, « dans le principe de leur unité, l’inclination de la volonté et le discernement de la vérité »[75]. Il préside à la conduite de l’homme et lui découvre sa destinée.

Compte tenu de la corruption de l’homme, on comprend que le cœur embrasse les contraires : le positif et le négatif, le sentiment et l’imagination, l’instinct et l’habitude, les sensations et les passions. M. Edouard Morot-Sir l’appelle “chaos de l’immédiat »[76], mettant en évidence l’imbroglio et l’enchevêtrement qui s’y trouvent. Le même Pascal affirme : « C’est le cœur qui sent Dieu » (L 424 – B 278), mais aussi « que le cœur de l’homme est creux et plein d’ordure » (L 139 – B 143). Le cœur a des défauts comme la raison. Cependant il a rapport à l’intimité de l’homme. Réceptacle de la révélation intérieure, il est le lieu de la manifestation de la conscience morale et du dynamisme humain. C’est par le cœur que l’homme atteint ce qui est essentiel, ce qui donne sens et valeur à son existence.

Le cœur pascalien s’enfonce au cœur de la métaphysique et y prend racine[77]. Il renvoie également à Dieu et invite l’homme à participer à l’esprit de Dieu[78], à recevoir ses dons en se situant dans l’ordre de la charité. Le cœur creuse les profondeurs de l’esprit où la raison ne peut atteindre. Le langage du cœur remédie à l’inachèvement du discours. Par le cœur la grâce vient au secours des défaillances de la raison pour la porter à son terme. Le langage devient à ce niveau, méditation et prière. « La connaissance du cœur est au point de rencontre du recueillement et du dévoilement »[79]. Cependant, rempli de passions, « creux et plein d’ordure », le cœur devient « attente de la grâce ». « Et pour tromper cette attente, il s’évertue à imaginer toutes sortes de subterfuges, qu’il recouvre des mots "nature" ou "coutume" »[80]. C’est pourquoi il lui faut se purifier. Seul le cœur humilié peut voir la vérité. « Inclina cor meum, Deus in, etc. » (L 380 – B 284), « incline mon cœur vers tes exigences et non pas vers le profit »[81], répète souvent Pascal avec le Psaume 118. Il est nécessaire pour l’homme de travailler à diminuer ses passions en soumettant la machine aux bonnes coutumes. Il laisse ainsi à Dieu la liberté d’agir, de révéler sa véritable nature et de donner sens à l’existence humaine.

3. La prière comme langage du cœur qui sent Dieu

Dans le fragment « Infini-rien »[82] sur le pari, nous trouvons ce paradoxe évident que, malgré la rigueur de la démarche démonstrative, il faut que celle-ci se place au cœur de la prière pour être efficace. La prière se trouve au principe, au milieu et à la fin de la démarche intellectuelle quoique celle-ci soit sans faille. « Si ce discours vous plaît et vous semble fort, sachez qu’il est fait par un homme qui s’est mis à genoux auparavant et après, pour prier cet être infini et sans parties, auquel il soumet tout le sien, de se soumettre aussi le vôtre pour votre propre bien et pour sa gloire » (L 418 – B 233). La prière, c’est le cœur venant au secours de la raison pour conduire jusqu’à son terme sa démarche. Le travail intellectuel comme celui de la diminution des passions, l’abêtissement sont liés à l’intervention du cœur dans la prière s’ils veulent être opérants. C’est pourquoi Pascal invite son interlocuteur à se mettre à genoux pour prier comme les convertis, s’il veut voir ses efforts produire les fruits escomptés. L’humilité est l’attitude authentique du chercheur qui utilise sa raison mais qui se soumet aussi, humblement, à la réalité. La recherche devient une quête, donc aussi une demande sinon une supplication venant de la prise de conscience de la petitesse de son être et de l’incommensurabilité de la chose recherchée. Elle est à la fois conquête et quête. C’est pourquoi Pascal fait intervenir non seulement la raison mais encore le cœur et même ce qu’il appelle « le machine », l’indice montage qui est une des caractéristiques de l’homme

La prière est donc un langage d’attente, de guérison et de réparation. La prière montre l’homme se détournant du monde et de tous ses éclats pour se retourner vers Dieu, l’unique bien, qui lui donne le sens de son existence. Elle est un langage de retour, non pas un retour à la gloire, mais un acte de retournement du cœur vers la grâce par un effet de la grâce elle-même. Elle est quête de l’amour de Dieu et remède à la concupiscence. Elle est langage et signe de conversion. Elle doit donc adhérer à Jésus Christ qui rend nos prières agréables à Dieu. Désormais la règle pour bien juger n’est plus notre volonté, mais celle de Dieu. C’est Dieu qui justifie. La prière n’est pas, en effet, en notre pouvoir. Elle est une grâce qui vient de Dieu[83]. La prière nous permet de reconnaître que nous sommes reliés à Dieu. Par la prière la créature échappe à elle-même pour appartenir à Dieu, d’où elle tire vertu et valeur et où elle retrouve sens et unité pour sa vie et ses activités[84].

Et Pascal nous donne des exemples de prières qu’elles soient de contemplation, de méditation ou de demande[85]. Tout se résume en la finale du Mémorial : « Non obliviscar sermones tuos », je n’oublierai pas tes paroles[86] (L 913 - B Mémorial). Il se dégage de tout cela que la prière est un dialogue cordial de Dieu avec l’homme qui conduit l’homme à le reconnaître dans l’histoire et dans sa vie. La vie de l’homme devient un engagement vis à vis de la parole de Dieu et une réponse à cette parole qui appelle et provoque à la conversion. Dieu a toujours l’initiative de se révéler et de sauver. La prière, qui est le vrai langage du cœur et donc de l’homme, devient un enregistrement engagé et engageant de la parole de Dieu. Elle est une parole d’homme qui a pour base la parole de Dieu. La certitude, la sérénité et la joie qui sourdent de ces prières viennent de la renonciation qui a été faite de soi-même et de la soumission totale à Jésus qui se concrétise dans la soumission au directeur spirituel et à l’Eglise. Le serment de fidélité qui marque le Mémorial est le fait de toute prière véritable. Je n’oublierai pas tes paroles. C’est une décision qui fait suite à la méditation de la parole de Dieu comme le fait le psaume 118: « Je trouve en tes commandements mon plaisir, je n’oublie pas ta parole »[87]. Ce serment est également remède au sommeil de la négligence et de la dispersion et à la fois engagement à demeurer dans la prière. Car Dieu est le principe et la fin du cœur de l’homme. Et l’ultime référence de la parole humaine est la parole de Dieu. Seule « l’univocité du discours divin résout les équivoques de la nature et de l’histoire, quand l’homme, se centrant sur Jésus Christ, médiateur hors médiation, voit s’ordonner à un point fixe sa pensée, naguère balancée d’un extrême à l’autre, et mouiller à bon port son existence jusqu’ici en dérive »[88]. Seul le langage divin résout la polysémie et les équivoques de l’humain. La référence véritable du langage humain est le langage divin dans l’Ecriture qui s’accomplit en Jésus Christ, l’unique Verbe de Dieu, le Médiateur entre Dieu et les hommes.

 

DR AKE PATRICE JEAN, Assistant en philosophie, ufr-shs universite de cocody, departement de philosophie

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Nous avons recensé plus d’une cinquantaine d’ouvrages sur la crise ivoirienne depuis 2002. Invité à parler du cœur au cours de ce colloque, à la suite de ces nombreux écrivains, nous ne pouvons pas ignorer la crise dans laquelle la Côte d’Ivoire est plongée depuis cinq ans. Nous en retenons deux d’entre eux, particulièrement, pour introduire notre propos. D’abord Amon Etchian, qui nous apparaît comme un africaniste et Maurice Bandaman, un occidentaliste.

Dans son ouvrage L’heure de la Renaissance a sonné. L’Afrique a-t-elle une solution pour l’Afrique[89], Etchian propose un salut de l’Afrique qui passe par l’illumination totale, et donne l’exemple de Vishwa Nirmala Dharma-Sahaja Yoga, comme l’initiateur de cette entreprise. Il pense que le développement actuel n’est pas un développement total car il faut, entre autres, redynamiser les campagnes. Et pour conclure, il évoque la ‘démocrisie’ qui signifie que les gouvernements d’union nationale ne sont pas des solutions aux crises politiques ou politico-militaires. La ‘démocrisie’, selon la définition de notre auteur, est le canevas par lequel les loges occidentales ont exercé leurs pouvoirs depuis toujours. Malgré le bilan lourd des méfaits causés par les Occidentaux, notre auteur pense que les Noirs gardent leurs cœurs ouverts aux Blancs.

Quant à Maurice Bandaman, un occidentaliste, il parle des origines de la sale guerre que la Côte d’Ivoire vit dans son ouvrage Côte d’Ivoire. Chronique d’une guerre annoncée[90]. Pour lui, l’ivoirophonie peut aider les ivoiriens à combattre, à la fois, la haine qu’ils ont dans leurs cœurs et l’aigreur devant le succès des autres, surtout envers ceux qui viennent de loin. Cette ivoirophonie est une nouvelle manière de réfléchir et de penser la Côte d’Ivoire. Elle est surtout une purge forte, de la famille du gnamankoudji pour déconstiper l’éléphant ivoire.

Comme nous le constatons, dans un colloque comme celui qui se tient en ce moment, la responsabilité des intellectuels est importante. Notre cœur ne peut rester indifférent aux souffrances du peuple ivoirien. En voulant parcourir la modeste œuvre de Johann Christoph Friedrich von Schiller, Cabale et Amour, nous voulons soutenir que le problème entre la France et la Côte d’ivoire est un problème de cœur, un mélodrame flamboyant, comme celui que sont en train de vivre, Ferdinand et Louise Miller, dans notre pièce. Mais auparavant, il nous faudra admettre que cette œuvre est un pamphlet révolutionnaire. Notre critique de la société ivoirienne et de la communauté internationale trouve alors ici toute sa justification.

1. PRESENTATION DE L’œuvre CABALE ET AMOUR DE SCHILLER
1.1. la cabale : CRITIQUE DU SYSTEME FEODAL

En mars 1784, le livre intitulé Cabale et Amour parut en Mannhein chez Schwan, et le 15 avril, la première représentation eut lieu dans cette même ville. Le décor fut monté et eut pour sous titre, une tragédie civile. La critique des conditions politiques et sociales du XVIIIè siècle finissant se fait véhémente dans cette pièce. Schiller y donne libre cours à son ressentiment contre une société corrompue.

L’action se passe dans quelque duché facilement identifiable. Il s’agit d’une pièce rebelle où toutes les personnes posent problème. D’abord le Président De Walter est problématique. Voici un Premier ministre qui a accédé, par le crime, à ses plus hautes fonctions. Il s’agit d’un homme qui, sans paraître sur scène, y est présent par les abus commis en son nom et par l’arbitraire de son règne. Ensuite, son intriguant et tournoyant secrétaire, avec son nom révélateur, Le Ver, est un exemple d’école. Nous citerons en plus le ridicule Maréchal Le Veau, tout enrubanné et parfumé, qui s’occupe avec sérieux de futilités ; la maîtresse du Prince, Lady Milford, une courtisane, couverte de bijoux. Nous n’oublierons pas de nommer, la famille Miller, petite famille bourgeoise composée du musicien Miller, de son épouse et enfin les deux amoureux, le garçon enflammé Ferdinand et la Louise intérieure.

Tandis que la mère de Louise apparaît comme une personne orgueilleuse et bavarde qui tolère la liaison de sa fille avec le maître aristocrate, pour diverses raisons mondaines, son mari est un fin calculateur qui voit sa fille comme un capital en même temps qu’il est marqué par une certaine éthique. Ferdinand qui vit son amour d’une façon héroïque, veut abandonner le camp des aristocrates mais se montre indécis, idéaliste et lyrique par moments.

La cabale apparaît comme la critique du système féodal. La conscience aristocratique y est vécue comme amorale et stratégiquement orientée. L’intrigue qui contribue effectivement au théâtre, à la tension de la pièce, est concrète : manipuler les personnes et contrôler leur comportement. Le maître de l’intrigue est ici Le Ver qui met son intelligence au service du complot. A l’insu de celui-ci, Louise doit rester seule et ne doit pas lui être indifférente. Elle devra même envisager le mariage avec ce manipulateur qui est au service de l’aristocratie. Cette phrase, « ton canevas est d’une finesse satanique. L’élève dépasse son maître[91] », explique elle-même que par l’intrigue et le crime, on devient Président. Le Ver insiste avec fierté pour dire comment il connaît les « battements des cœurs » et peut en tirer toutes les ficelles par conséquent. Louise la frêle reconnaît alors l’agilité et la servilité de Le Ver qui la tient par sa morale et sa parole sacramentelle. Le dialogue entre le Président et le Ver, sur ce fait est très clair : « ‘Qu’apportera un serment, imbécile ?’ demanda le Président. Et sa réponse – instantanée – fut : ‘A nous rien, Monseigneur. A ce genre de personne, tout[92]…’ » La morale, toutefois, ne lui paraît pas comme valable pour tous les peuples. Il s’agit, au contraire d’un système standard, prévisible, composé d’actions définitives bourgeoises, posées par des personnes infaillibles.

Notre intriguant qui sait se servir du cœur humain et qui se met au service du pouvoir, utilise le peuple comme un objet ou une marchandise. Dans la célèbre scène du valet, nous nous apercevons que la richesse du souverain est fondée, entre autres choses, sur ces jeunes sujets vendus comme des soldats. Un trait particulièrement odieux caractérise la dépravation du souverain : pour rétablir les finances de son Etat, toujours compromises par ses dilapidations, le prince n’hésite pas à recruter de force ces soldats et à les vendre comme mercenaires à une puissance étrangère. A ce propos, le vieux serviteur est dépeint par des mots drastiques, comme un instrument cynique au service de l’être humain, dans un pathos moral contraire, quand il est mis en relief dans ce passage : « […] les tambours hurlaient ‘Il est temps’, les orphelins s’accrochaient en hurlant à leur père encore vivant, une mère déchaînée courait pour offrir aux baïonnettes son enfant encore au sein, on séparait à coups de sabre le fiancé de la fiancée, et nous autres, les vieux, désespérés, nous jetions nos béquilles pour suivre nos garçons dans le Nouveau Monde[93]… »

Dans ce système standardisé de la cour, la femme, subjuguée, correspond à la répression sociale. Pour la classe privilégiée, elle est un objet de luxe, symbole des futilités, et pour le bourgeois, elle est la gardienne du foyer, résignée à ce but. La part que la femme a dans la société lui offrirait une certaine indépendance et une certaine influence. Mais elle reste toujours une figure sur laquelle le potentat mâle montre tous ses intérêts dominants. « Les raisons d’une telle dépossession des femmes, affirme Klapisch-Zuber, sont complexes[94]. » Telle apparaît Lady Milford. Qu’elle, la fille bourgeoise, pousse Louise dans les bras de l’intriguant Le Ver, montre sa haine et son mépris pour sa rivale d’une part. De l’autre, Louise a les mêmes sentiments envers le soupirant Le Ver quand elle affirme : « Je t’étranglerai pendant la nuit de noces et j’aurai ensuite les voluptés du supplice[95]. »

Pour conclure cette partie, nous affirmons que Cabale et Amour est le conflit d’une passion aux prises avec les intrigues du siècle. Cette opposition violente entre la pureté de deux êtres prend le pas sur la corruption d’une société sans âme qui ignore la spontanéité des sentiments. Mais cette société bourgeoise n’a-t-elle pas une mentalité très ambivalente ?

L’AMBIVALENCE DE LA SOCIETE BOURGEOISE

Il y a de nombreuses contradictions dans la pièce de Schiller qui fondent cette tragédie bourgeoise. L’intégrité morale de la citoyenne Louise est menacée par les avances érotiques de Ferdinand, un jeune noble, mais aussi par la conscience du Président, de celle du Ver et du Père Miller. Mais Ferdinand ressemble plus à l’image du jeune séducteur sans scrupule, dans toute l’ambivalence de son caractère, qui ne désire rien d’autre que la satisfaction de son désir égoïste, détruisant à l’occasion l’innocence d’une jeune fille du peuple. Ainsi Ferdinand apparaît aux yeux de la conscience bourgeoise, comme un être normal. Tandis que le Président et le Ver représentent la déperdition morale de la noblesse intrigante, le Maréchal Le Veau illustre le ridicule et la superficialité du cérémonial de cour d’une manière expressive. La tragédie bourgeoise de Schiller est une Trauerspiel, littéralement un jeu(Spiel) de deuil(Trauer). Au cœur même de ce drame bourgeois, que le français considère volontiers comme bonhomme et gentiment moral, l’allemand installe la présence de la mort. Mais avant d’aller plus loin dans notre développement sur la question, revenons au peuple.

Plus particulièrement, le peuple exprime l’ambivalence de la mentalité bourgeoise, en la personne du musicien Miller. Il y a en lui certainement, le père aimant, celui à qui le bonheur de sa fille cause du souci. Cependant dans sa personne s’entremêlent à la fois, la morale bourgeoise et les raisons économiques et le souci du bien-être financier de la famille. A cela il faut ajouter le manque de confiance en soi chez les gens du peuple quand ils doivent affronter ceux de la noblesse.

La bourgeoisie, qui se met en place, trouve ses fondements dans la société germanique au XVIIIè siècle et est traversée par un dilemme idéologique : d’un côté, elle s’oppose à l’aristocratie et au système de cour en lui-même, dans ses principes moraux ; de l’autre, elle gagne en influence par ses succès économiques. Le bourgeois s’affirme par lui-même, à travers la réussite économique. «  Il est, aux dires de Aron J. Gourevitch, un self-made man[96]. »La solution qui s’offre au dilemme, est une troisième voie, celle de la séparation de la sphère privée (la sphère familiale) et la sphère publique (la vie des affaires économiques). Schiller n’affirme-t-il pas que « l’homme doit être hors de la vie hostile[97] ? » Ne veut-il pas dire par là que l’homme est aliéné, dans sa sphère privée, par les impératifs de la vie économique ? Dans la personne de Miller, nous pouvons percevoir que l’action humaine est influencée par la raison économique, pour ce qui est de la sphère publique, et par les valeurs morales, pour la sphère privée. Ainsi ce musicien décrit fréquemment sa relation à Louise et les attentes qu’il a mises en elle, par des images économiques. Par conséquent, Louise est pour lui, un capital dont il attend quelque chose dans le change. Il a investi en elle et attend quelque chose en retour. Quand il veut protéger sa fille, il n’est pas troublé par les motivations d’ordre économique ou religieux, mais s’explique : « Le temps s’annonce où nous autres pères, touchons les intérêts de ce que nous avons placé dans le cœur de nos enfants. Veux-tu me spolier, Louise ? T’enfuiras-tu avec toutes les économies de ton père[98] ? » Non seulement les catégories morales sont interprétées économiquement, mais l’amour est vu comme un investissement, une valeur marchande : « Cette fillette absorbe tout mon cœur de père…Tout ce que j’avais d’amour, je l’ai placé sur cet enfant[99]. »

Ce mélange de morale et de questions de propriétés en matière d’amour prouve que dans la mentalité bourgeoise l’amour est toujours une sorte d’hypothèque. Le discours moral et informel au sujet des biens peut toujours malgré tout, être utilisé par les gens du peuple. C’est ce que fait Louise quand elle affirme : « Les contraintes de la tendresse, plus barbares que la rage des tyrans[100] !... » Louise, en fille obéissante, se conforme à la société, ce qui montre que le drame de Schiller est moralement correcte.

Cependant, c’est l’ambigüité même de la bourgeoisie lorsque nous analysons les structures mentales de la société qui est ici mise en exergue. Cette ambivalence de la conscience civile qui est prise entre le désir de se révolter et celui de se soumettre à la noblesse marque profondément Louise, mais aussi son père. Quand, par exemple, Miller doit donner une idée précise au Président des lois de sa propre maison, la scène est décrite de la manière suivante : « Miller, qui jusque-là ‘était tenu à l’écart avec crainte, s’avance dans une grande agitation, de rage et de peur, il grince et claque alternativement des dents. Votre Excellence…L’enfant, c’est l’œuvre du père…Sauf votre respect…Traiter son enfant de trainée, c’est gifler le père…gifle pour gifle…C’est le tarif maison…sauf votre respect[101]… » Plus tard, Miller veut montrer et faire sentir qu’il n’accorde pas au noble, le droit sur sa propre maison, sphère où lui fait régner la justice et le droit : « Miller s’approche de lui avec plus de cran. ‘Parlons clair, parlons franc. Sauf votre respect. Votre Excellence fait la pluie et le beau temps dans ce pays. Ici, c’est chez moi...Mes plus dévoués compliments si je vous apporte une requête…mais l’hôte malpoli, je le fiche dehors. Sauf votre respect[102]. » La continuelle répétition des formules chevaleresques « Sauf votre respect », « votre Excellence », montre que le citoyen ne peut rien faire avec assurance. C’est ce manque de confiance en lui-même qui le pousse à adopter une attitude de rébellion constante. La pièce de Schiller est la preuve qui montre que la mentalité bourgeoise allemande ne convenait pas du tout, pour changer de façon notable, le système féodal, quelques années avant la Révolution française. Le manque de confiance en soi équivaut à de la servilité. Cette servilité, le citoyen ne peut s’en défaire, surtout dans des confrontations avec l’aristocratie. Mais n’est-ce pas le succès permanent de la sentimentalité à effets qui assure une vigueur pérenne à Cabale et Amour ?

L’AMOUR : LE PROBLEME DE LA CONDITION EXUBERANTE

La cabale aristocratique et l’amour fonctionnent ici en des pôles opposés, dans cette tragédie bourgeoise. Le Président qui veut lancer son propre fils à contracter une alliance avec Lady Milford, pour des raisons stratégiques, s’oppose au mariage de Ferdinand et Louise. Quant au musicien Miller, sa langue a fourché et il ne dit rien de bon quand il donne son point de vue dans cette affaire.

Schiller, dans cette pièce essaie de tester sa stratégie bourgeoise, par un discours au-delà de l’amour, sur les chances et les limites de la sensibilité. Cette production théâtrale est, par conséquent, une réflexion sur le Sturm und Drang. Sa conception de l’amour oscille entre un idéalisme et un scepticisme. Louise et Ferdinand, le plus célèbre couple amoureux que la littérature ait eu, se placent dans la tradition de Roméo et Juliette. Mais Schiller diffère ici de ses précurseurs romantiques, en ce sens qu’il fait une analyse critique de l’amour idéal. Cet amour est placé au dessus des droits inconditionnels du discours amoureux face à la réalité empirique. Et avant cet arrière-plan, au dessus de tout, Ferdinand l’amoureux-orgueilleux, agit relativement mal. Parce qu’il incarne un amour idéal, d’une part, il est prêt à incarner l’esprit pré-romantique, par delà toutes les conventions et toutes les objections d’une contemplation réaliste. D’autre part, son amour prétendument absolu est confronté à de faibles contestations. Quand Ferdinand veut chercher ce que Milord sait de son amour pour Louise, il est plein du pathos de son sentiment. Avec toute son énergie, il pense que sa puissance de prince est au dessus de sa favorite, immorale et prétendument frivole : « Je te repousse…moi, un jeune Allemand[103]. » Cependant sa position vis-à-vis de cette dame change fondamentalement au fur et à mesure qu’ils échangent leurs points de vue. L’Anglaise lui apparaît comme une aristocrate prise dans le besoin et qui occupait une position indigne à cause des circonstances de la cour mais qui était en fait un amour sensible qui espérait les faveurs de Ferdinand. Et celle-ci tombe amoureuse du malheureux, avant qu’il ne se soit nommé « Jeune Allemand. » : « Epargnez mon cœur, déjà la honte et un remord sans frein le déchirent[104]… » Ainsi charme-t-il l’Anglaise. A son retour de chez elle, il dit à Louise : « Ce fut un moment terrible…Le moment Louise, où s’est jetée entre mon cœur et toi, une personne étrangère…où mon amour a pâli devant ma conscience…où ma Louise cessa d’être tout pour Ferdinand[105]. »

La déclaration de Ferdinand, cette déclaration absolument amoureuse, doit être relativisée par l’action dramatique de façon cruciale. Cette déclaration exprime aussi la crédibilité du discours amoureux sentimental qui proclame l’amour au dessus de l’être, comme principe du monde. Ici l’amour évince l’être : si l’Inconditionné de l’amour reste un postulat, qui ne prend pas en compte les examens de l’expérience, cela tient à la crédibilité de la déclaration qui est détruite, et le garçon sentimental reste là, enthousiaste. De l’aveu général, ses mots lyriques paraissent romantiques : « Ma patrie, c’est là où Louise m’aime. La trace de ton pas dans le sable d’un désert sauvage m’intéresse plus que la cathédrale de mon pays[106]… » Mais que peut-on attendre d’un jeune homme qui change de sentiments dès les premiers mots de sa maîtresse, avec pour conséquence qu’elle le force à accepter la dégradation sociale ? Louise, en retour tient pour impossible que Ferdinand, que la « malédiction de ton père[107] » incrimine, puisse endurer de vivre dans l’exil de l’amour.

Il est clair que la trouvaille du maladroit Le Ver dans l’Intrigue est un succès. Beaucoup de critiques, malgré tout, pensent qu’il est invraisemblable que Ferdinand puisse tenir pour possible une telle infidélité de Louise, et que cette dernière soit debout avec une lettre du stupide Maréchal le Veau qui atteste du faible caractère de la jeune amoureuse. La jalousie véhémente de Ferdinand apparaît en contrepoint de sa propre infidélité potentielle et de l’expression adéquate de sa personnalité. Cette jalousie de Ferdinand désavoue son amour idéal. Il ne faut pas oublier que Louise a la même conception de l’amour que son père. Schiller critique ici certaines formes du Sturm und Drang dans lesquelles l’amour idéal et sensible est utilisé comme une arme de rébellion contre l’ordre du droit. Cette rébellion, qui est en gestation, n’est pas différente de celle du citoyen Miller, parce qu’elle échappe aux filets du faux cœur de du Ver. Si Ferdinand avait estimé la crédibilité et la fidélité de son amour convenablement, l’intrigue aurait échoué, la lettre de trahison n’aurait eu aucun effet et les conséquences mortelles auraient été menées purement par un art logique.

La controverse rebondit lors de la réception de l’histoire du drame de Louise. Déjà dès le début, elle n’est pas très sûre de la perfection de son amour pour Ferdinand. Elle soutenait qu’elle s’identifiait elle-même à l’ordre de son père et se sentait immunisée à cause de sa religion, contre les tendances de Ferdinand à la rébellion. Elle est critiquée de toute façon pour cela, à cause de son étroitesse d’esprit qui reste dans ses visions libératrices opposées aux désirs effrénés de Ferdinand. C’est le contenu des idéaux de l’amour aristocratique, jugé avec scepticisme, que nous avons déjà expliqué.

Toutefois, l’évaluation de l’attitude de Louise se poursuit et quelque chose l’explique : « Mais je ne le réclame pas pour tout de suite, mon père. Cette petite goutte de rosée qu’est le temps…rêver à Ferdinand suffit à la boire, avec délice. Je renonce à lui pour cette vie. Et puis, mère…et puis, quand les barrières de l’inégalité tomberont…quand l’odieuse écorce du rang social craquera…que les hommes seront simplement des hommes(…) Alors je serai riche. Là-bas, les victoires militaires, ce sont les larmes, et les grands aïeux, ce sont les belles pensées. Je deviendrai une dame bien, maman…Qu’est-ce qu’il aura de plus que sa petite Louise[108] ? » D’abord l’attitude de Louise doit être appréciée dans sa cohérence et ses conséquences. La jeune fille a reconnu que les circonstances factuelles sont contraires à son amour. Elle est sûre que sa relation avec Ferdinand n’a aucun avenir, et elle s’est fait une solide opinion que cette relation aurait une fin chimérique. Fort de ce présupposé, il lui apparaît comme une perspective unique de recourir à l’absoluité de son amour qui trouve sa place dans les arrières-mondes, de parler de ce modèle de pensée religieuse qui ne peut avoir d’interprétation et de mettre entre parenthèses son existence. La sécularisation de la religion apparaît, de l’aveu général, en contraste avec le point de vue de la religion comme doute – alors, si elle explique à son père qu’elle aime beaucoup son Ferdinand, elle craint de perdre Dieu, selon elle : « Si les joies que me donnent son chef-d’œuvre me Le font oublier, père, cela ne me réjouira-t-il pas le bon Dieu[109] ? » - Et le père de répondre : « Ça y est ! Voilà ce que ça donne, ces lectures impies[110]. »

Cependant, il faut retenir ici moins cette confrontation des enseignements de la religion orthodoxe avec la faiblesse facile. Ce qui est mis en exergue c’est plutôt le concret de l’amour qui s’oppose à la critique présente, tandis que l’imaginaire se résigne à l’arrière-monde. Si l’amour consiste en un réel amour de deux âmes, l’attitude de Louise conduit en conséquence à une fin rapide comme Lavinie. Et une pensée pseudo-religieuse comme celle du père Miller qui utilise certaines catégories de compensation et certains problèmes moraux comme des problèmes économiques, sert à légitimer cette attitude. La victime de son côté obtient une récompense proportionnée. Elle n’est pas généreuse comme sa pensée nous permet de le percevoir, à première vue. Le père vaincu mentalement, en dépit de ses tendances rebelles, réapparaît en Louise sous une forme sublimée. Louise, c’est la faiblesse qui accepte sa condition dans ces circonstances présentes, sans se plaindre, et qui compense cette faiblesse, en reprenant confiance en elle-même. Cette attitude de Louise, selon l’interprétation de Engels est un exemple pour la bourgeoisie allemande qui veut remplacer intelligemment une révolte réelle par une révolte imaginaire, et qui réprime la confiance en une condition exubérante par une lutte contre la condition misérable. Cette même attitude ne peut-elle pas nous aider nous aussi à comprendre la Côte d’Ivoire aujourd’hui ?

2. UNE RELECTURE DU DRAME SCHILLERIEN A PARTIR DE LA SITUATION IVOIRIENNE

Nous voulons, par cette relecture du drame schillérien, Cabale et Amour, réinterpréter la situation de la guerre en Côte d’Ivoire, à la manière d’un auteur du siècle dernier. Schiller n’a pas voulu heurter les mentalités de son temps en faisant une critique de l’actualité, et c’est pour cette raison qu’il a transposé son drame au Moyen-âge, avec des personnages qui rappellent les acteurs de la scène politique. Comme le souligne très excellemment Sylvain Fort, « Schiller a affublé les principaux courtisans d’animaux. Cette insistance exigeait qu’on lui rende justice : Kalb est donc devenu Le Veau, Bock, le Bouc. Würm, lui, est devenu le Ver – avec cet intérêt supplémentaire que le mot même de Würm revient souvent dans son emploi de nom commun pour désigner l’animal qui ronge les cadavres, en des endroits où l’ambigüité entre le Würm nom propre et le Würm nom commun fait sens[111]. »

2.1. UNE REDISTRIBUTION DU ROLE DES PERSONNAGES

Pour le drame présent de la Côte d’Ivoire, redistribuons le rôle de nos acteurs. Le Président De Walter qui est derrière tout le scénario et tous les scenarii du monde se nomme les Etats-Unis d’Amérique (dirigés actuellement par George W. Bush). Dans ce système féodal, il représente la haute aristocratie et le maître de la Cabale. Ici nous sommes d’avis avec Fort qui explique que « la traduction de Kabale par intrigue élimine cependant du titre l’indication essentielle que contient le mot allemand : une Kabale est une intrigue certes, mais une intrigue de cour, un complot de courtisans[112]. » Le monde n’est-il pas son Duché où règnent le bien et le mal. Bien sûr, lui est les siens, les impérialistes de tous bords sont le bien ; les autres, surtout le monde arabe qui lui refuse son pétrole, sont le mal. Ainsi il trace l’axe du mal composé de l’Iran, de la Syrie, de la Somalie…Il a une puissance financière et économique telle qu’il peut décider d’annexer tout le pétrole et toute la richesse énergétique où il veut et quand il veut. Dans certains endroits du monde, cela ne marche pas selon sa volonté, alors il use de la cabale. Il excelle dans cet art. La dernière qui me vient à l’esprit est celle de l’invasion en Afghanistan, où il a affirmé avoir vu des armes de destruction massive, alors qu’il n’en était rien. Mais il fallait éliminer Saddam Hussein, voilà tout le but de cette opération.

Le Maréchal De Veau pourrait bien représenter l’ONU ou bien ce qui s’appelle la Communauté Internationale. L’ONU, « dans sa tenue de cour riche mais de mauvais goût, portant les clefs de chambellan, deux montres et épée, un chapeau plié sous le bras, coiffé à la Hérisson[113] » est un machin. Elle est la maîtresse des civilités. Elle ne maîtrise que le cérémonial des Conseils et des Résolutions inefficaces. Partout où elle est intervenue, la guerre a empiré. Elle ne survit que grâce aux Etats-Unis et lui sert de marchepied. L’ONU sert à entretenir la Cabale, car elle met en forme ce que les Etats-Unis décident ; elle fabrique des résolutions pour l’aristocratie politique, composée des nations développées, qui selon la loi du plus fort régentent le Conseil de sécurité. Dans le rôle des nations Unies dans la résolution de la crise ivoirienne, Amos Kouakou Kouadio présente dans son chapitre premier, les actes des organes des Nations Unies dépourvus de pouvoir de coercition[114]. En fait, c’est toute l’ONU qui ne peut contraindre aucun Etat. Que dis-je aucune grande puissance ! Mais quand il s’agit d’un pot de terre comme la Côte d’Ivoire, que fait l’ONU ? Simone Gbagbo, dans son livre témoignage, montre comment l’ONU a pris partie pour les rebelles dans un premier temps, puis comment elle a fait volte-face pour soutenir la constitution ivoirienne. D’abord,  « l’ONU a tout fait, sauf proclamer la raison de Laurent Gbagbo, diaboliquement attaqué. Au contraire, elle a pris fait et cause pour les rebelles… les résolutions de l’ONU organisent la négation de la Souveraineté ivoirienne. Cela commence par la réduction des pouvoirs du président de la République…Le troisième acte visera à affaiblir les Forces de Défense et de Sécurité par toutes sortes d’actes et d’entraves, de dénonciations et de diffamations[115]. » Finalement, Dieu lui-même est venu en aide à l’orpheline Côte d’Ivoire, « les pays du Conseil de sécurité ont rejeté toutes possibilités de subordination de la Constitution d’un Etat, quel qu’il soit, à une décision d’une organisation internationale, fût-elle l’ONU…La victoire est grande, elle est historique[116]. » On peut dire dès cet instant que cette institution, instrumentalisée par la France depuis trois ans, prenant résolutions sur résolutions, est revenue à elle-même.

A côté du Maréchal De Veau, il y a pire : le serviteur De Ver, bouillant secrétaire du Président. A qui pourrions-nous le comparer ? Koffi Annan ou Ban-Ki Moon aujourd’hui ferait l’affaire. Mais nous pencherons, pour ce que nous connaissons pour Koffi Annan. Dans cette crise ivoirienne, n’a-t-il pas usé de toute sa perfidie pour menacer et assujettir Louise (La Côte d’Ivoire). Il voulait ravir la place à Ferdinand (La France), le fils du Président. Sa servilité s’est manifestée à tout instant, quand il s’est agi de prendre des sanctions contre notre pays. Il a arpenté tous les couloirs de l’ONU, nouant et dénouant les alliances, trompant Louise en lui déclarant son amour et trompant Ferdinand en produisant du faux à tout instant. Il s’était même juré d’épouser Louise, c’est-à-dire en terminant son mandat de secrétaire général de l’ONU, devenir Président d’un empire comprenant le Ghana et la Côte d’Ivoire. Mais nous savons que le coup d’Etat raté contre le président du Ghana est son œuvre et a signé son arrêt de mort politique. Que dire alors de Ferdinand et de Louise ?

La guerre de la France contre la Côte d’Ivoire a été vue par de nombreux auteurs, comme un gangstérisme international d’Etat. Pour Mamadou Koulibaly, « il est question d’un débat politique, d’une prise de position claire capable d’orienter l’action[117]. » L’analyse du Prof. Koulibaly, quoiqu’excellente, ne prend pas suffisamment en compte les liens de cœur qui lient la Côte d’Ivoire à la Métropole. Et c’est pour cette raison que nous soutenons, pour notre part que, la guerre de la France contre la Côte d’Ivoire, est une histoire de cœur.

Ferdinand (la France), fils d’aristocrate aime Louise (La Côte d’Ivoire) d’un amour passion. Il a suborné cette pauvre paysanne depuis l’époque de la colonisation, à l’insu de son père, le Président De Walter. Aujourd’hui ce dernier veut lui arranger un autre mariage avec Lady Milford, les Nations d’Europe de l’Est et lui demander d’abandonner Louise à son pauvre sort. Ce mariage arrangé est d’ordre stratégique. Mais en fait, la France est engagée par fidélité, par amitié, par conviction, en Côte d’ivoire, parce qu’elle aime la Côte d’Ivoire, comme elle aime l’ensemble du continent africain[118]. Cet amour a un nom (la Françafrique), terme qui a été inventé en 1970, par le Président Houphouët Boigny. Même si aujourd’hui, les Africains semblent rejeter la métropole à cause de la ladrerie franchouillarde[119], la France reste africaine et l’Afrique française. D’ailleurs, l’Afrique est du domaine de la raison d’Etat supérieure. Les barbouzeries, les coups tordus et autres magouilles n’ont jamais entaché cet amour. La France, en Afrique s’est laissée dominée par l’affectif et elle le payera longtemps. A ce jeu l’Afrique et la France sont bien gagnantes. Ecoutons une partie du discours testament de M. François Mitterrand en Novembre 1994 à Biarritz : « Telle est la leçon pour demain. Je le dis solennellement devant vous : la France doit maintenir sa route et refuser de réduire son ambition africaine. Pourquoi le ferait-elle ? Elle représente pour une grande partie de votre continent africain un facteur incomparable d’équilibre et de progrès. Et l’Afrique, de son côté, a beaucoup donné à la France. Elle lui donne beaucoup d’amitié, je crois, aujourd’hui. Elle lui a donné aussi beaucoup de sacrifices, des milliers de ses hommes. Nous avons construit l’histoire ensemble. J’en appelle à ceux qui auront après moi la charge des affaires du pays. La France ne serait plus tout à fait elle aux yeux du monde, si elle renonçait à être présente en Afrique, aux côtés des Africains.[120] » Plus loin, il conclut en disant que le couple France-Afrique, est un couple fort. Pour terminer cette partie, disons que la France n’a pas perdu l’Afrique. Il y a quelques incompréhensions comme dans tout couple, mais l’amour reste toujours vivace. Mais Louise a été empoisonnée par Ferdinand, au nom justement de cet amour. La France d’aujourd’hui n’est-elle pas en train de tuer la Côte d’Ivoire, par le gangstérisme international ?

2.2. L’EMPOISONNEMENT DE LOUISE PAR FERDINAND OU LA GANGSTERISmE

Dans l’Acte V, scène VII, Ferdinand s’empoisonne en buvant un verre fade de citronnade contenant de l’arsenic et il empoisonne aussi Louise[121]. Tous les deux s’apprêtent à faire le voyage en enfer. La mort, dans Cabale et Amour survient comme événement, mais pour donner sens. Les liens entre Ferdinand et Louise sont des liens de complicité corrompue, chacun tenant l’autre par le secret ou un vice. Il s’agit de l’histoire d’un amour en décomposition. C’est pourquoi Victor Hell affirme : « La mort ressemble à un gracieux garçon qui aide l’âme humaine à franchir la fosse du temps[122]. » l’incohérence de Cabale et Amour c’est le contraste entre la vertu héroïque de louise et son martyre et le choix par Schiller d’un cadre limité, d’un genre pétrifié dans la petite morale et la leçon pratique. Cet empoisonnement de la France, n’est-ce pas le pillage des ressources économiques de la Côte d’ivoire, la menace de son armée et le chantage de certains membres du Conseil de sécurité de l’ONU ?

Nous empruntons le terme de gangstérisme au Prof. Mamadou Koulibaly[123] qui qualifie la France de pays gangster. Pour notre part, il s’agit d’un véritable empoisonnement d’une citronnade contenant de l’arsenic, appelée pacte colonial. Ce poison est destiné à sacrifier et l’amoureux et l’amoureuse. Il s’est transformé en un étatisme perturbateur. Ce sont les accords de coopération franco-ivoiriens qui réalisent ce pacte, véritables prérogatives que l’Etat français exerce qui ont été déléguées aux Etats africains sous le contrôle de Paris. Cette « Paristroïska » est celle des intérêts de certains rentiers. Ce poison est donc la mort programmée de l’amour de la Françafrique, système porté à son absolu pourrissement. Une belle couronne posée sur la tombe fraîche de Ferdinand et de Louise ! La survie, c’est d’entrer dans l’économie de marché. La route qui y mène est celle de la liberté[124].

3. la cabale ivoirienne contre la france

Cabale et Amour, c’est tout d’abord le conflit d’une passion aux prises avec les cabales du siècle, c’est l’opposition violente entre la pureté de deux êtres et la corruption d’une société sans âme qui ignore la spontanéité des sentiments. Dans ce drame schillérien, le tableau des mœurs l’emporte nettement sur les scènes d’amour et c’est par un effet de contraste que la passion de Ferdinand et de Louise atteint à une force expressive. Deux mondes s’opposent : d’une part, la vie d’une cour, soumise, à l’arbitraire du prince où la cabale et le crime permettent aux plus rusés de satisfaire leur ambition et d’autre part, l’obscur monde petit-bourgeois, que les préjugés et les conventions condamnent à demeurer fermé sur lui-même, sur lui-même, sur son travail quotidien, ses petites misères et ses joies discrètes. La cabale dévoile ce que l’amour tenait masqué. Que pouvons-nous dire de la cabale ivoirienne ?

Dans Cabale et Amour la critique des conditions politiques et sociales du XVIIIè siècle finissant se fait véhémente. Schiller donne libre cours à son ressentiment contre une société corrompue. C’est cet aspect que nous avons retenu pour parler de la société ivoirienne d’après la guerre. Plusieurs auteurs ont relevé l’aspect matérialiste de la société ivoirienne où l’argent plus que tout est roi. Aujourd’hui notre société essaie une nième réconciliation nationale (Les Accords de Ouagadougou issus du dialogue direct). Mais depuis toujours, la politique politicienne envahit notre inconscient et notre subconscient : la politique est omniprésente dans les médias, si bien qu’on a l’impression que tout est politisé. Il y a comme une violence sur nos pauvres consciences, nos intelligences. Nous sommes abrutis par les clubs de soutien et autres événements politiques, si bien que le pays donne l’impression que rien ne se passe. Nos intellectuels ont finalement jeté l’éponge car aucune manifestation culturelle n’est couverte et n’intéresse personne. Même lorsque pour un colloque apolitique vous invitez le corps diplomatique, ils brillent par leur absence. Mais les ambassadeurs cherchent une certaine côte à n’importe quel meeting politique.

Pour vous montrer comment notre pays va mal, nous avons fait appel à un grand observateur de notre cité, M. Tiburce Koffi. Voici ce qu’il écrit : « les ghettos se multiplient, les dépôts de boissons alcoolisées et autres espaces insalubres de festivités éthyliques, de même ; les quartiers se construisent de manière anarchique, sans aucun plan directeur, les garages autos croissent à un rythme bizarre et s’installent presque partout. L’espace scolaire et universitaire s’encanaille au mieux : le campus et les belles résidences universitaires de Mermoz et de la Cité Rouge se ghettoïsent furieusement sous le regard refondé d’une administration universitaire tenue par des militants frontistes[125]. » Le constat est clair, les jeunes ne sont pas dans ces cités pour étudier. Cette cité Mermoz est un bastillon de jeunes fescistes hostiles au PDCI qui sont dans un lieu stratégique pour neutraliser la maison du parti PDCI. Pour montrer le caractère délétère de la culture, un autre symbole, la Sorbonne, haut lieu de formation intellectuelle en France, est en Côte d’Ivoire, « l’espace privilégié de la doxa inhibitrice où chaque jour, s’enivre de discours obscurs et niais, une population de bras valides qui a décidé de signer un bail avec l’oisiveté, soutenue en cela par le pouvoir[126]. » Mais cette Sorbonne est surtout « un lieu insalubre, infect, dégoûtant dans son exposé visuel, et indigne d’être situé au Plateau, la vitrine de l’urbanité ivoirienne. C’est aussi un haut lieu de la piraterie. Ici, se vendent des produits contrefaits, illégaux (CD, DVD, VCD), cassettes, médicaments pharmaceutiques de mauvaise qualité, journaux, tabac (défraîchis), ainsi que des mets exposés à tout. Il y a surtout de la pornographie bien la vue[127]. » Tout cela montre la pourriture et le pourrissement de notre société ivoirienne, disqualifiée du point de vue éducationnelle, où l’argent gagné en toute vitesse est roi. Médiocrité du milieu et celui du milieu aristocratique chez Schiller !

Notre société perpétue la culture infecte de la recherche du gain facile. Les jeux du hasard et de la chance (Loterie Nationale, Loto, Millionnaire, PMU, Coffre-fort, Télé-Sport, Miss, Karaoké) n’ont jamais pullulé autant en terre d’Eburnie. En l’espace de quelques minutes, le hasard d’un bon numéro de billet de loterie, vous voici propriétaire d’une grande villa de 30 millions, d’une voiture neuve. Aujourd’hui toutes nos nièces dotées d’une belle paire de seins ronds et fermes font des castings pour devenir Miss-Côte d’Ivoire. Les jeunes garçons rêvent d’une carrière footballistique à la Drogba ! Débauche privée et ambition mesquine que nous retrouvons chez Schiller !

Une telle société aussi corrompue, dépravée, a besoin d’amour, de morale et de spiritualité vraie.

Ce que nous appelons la cabale ivoirienne contre la France c’est cette manupulation éhontée de l’opinion publique ivoirienne par le pouvoir en place qui utilise la rue comme force politique. Le pouvoir en Côte d’Ivoire est dans la rue et l’ennemi désigné pour conjurer tous nos maux, c’est la France de Chirac. Le pouvoir en place a tellement su utiliser la fibre patriotique que chacun de nous s’est laissé avoir par cet opium. Je parle d’un véritable opium parce qu’il occulte les problèmes latents de la Côte d’Ivoire qui sont la pauvreté, le fort taux d’immigration que le dernier rapport d’Amnesty International (2007) s’est donné la joie de résumer en des termes éloquents. 

Le pouvoir faschiste de la rue qui est excité et instrumentalisé, chaque fois que le pouvoir en place est mis en difficulté est un couteau à double tranchant. La rue vient de détruire l’un des symboles de la démocratie, le siège de la LIDHO : personne n’a protesté ni condamné cette n-ième dérive de notre République bananière. (Attaque du siège de la LIDHO du 21 Mai 2007). Au contraire, le pouvoir en place, au lieu de résoudre le problème du salaire des enseignants, préfère exciter la fibre patriotique en se défoulant sur les Ambassadeurs étrangers (Discours musclé du Président Gbagbo le même jour). Là encore le Président utilise son arme de tous les jours quand ça va mal : pointer du doigt l’étranger comme responsable de tous les maux. Mais soyons sérieux quel représentant d’une ambassade étrangère a voulu fixer la date de nos élections ?

Malgré cette cabale malveillante, notre cœur est en France et nous devons beaucoup à la Métropole. La Côte d’Ivoire doit se refonder dans sa mentalité, sa spiritualité, sa morale qui se résume en cette apreté au gain facile.

L’autre manipulation c’est ce recours à la religion dans la politique. Cette irruption du religieux dans la démocratie est très dangereuse. La religion là aussi joue sur un terrain glissant. Autant il est condamnable quand il s’agit de l’Islam (cas d’Allassane Ouattara), mais aussi pour le christianisme (Cas de Gbagbo). C’est aussi vrai que quand la misère s’installe partout et que l’horizon semble bouché, la religion devient un opium facile pour le bas peuple.

CONCLUSION

Schiller a sans aucun doute eu un mérite remarquable d’avoir vu dans la cabale et l’amour les rémèdes des maux de son siècle. Il nous a ouvert les yeux sur les travers de la société ivoirienne. Une vie qui commence dans le cœur a eu aussi le mérite de finir par une mort par le cœur. Son biographe est très explicite là-dessus. Hell Victor nous décrit sa mort survenue le 9 Mai 1805 en ces termes : « Il n’est guère de document plus émouvant que le rapport, adressé au duc Charles-Auguste de Weimer, par le Dr Huschke qui a pratiqué l’autopsie : ‘Le poumon droit était, par ses ligaments, si étroitement uni d’arrière en avant avec la plèvre, voire même avec le cœur, qu’on pouvait à peine le séparer avec le couteau…Le cœur ressemblait à une bourse vide…, il était tout ridé, membraneux, sans muscle[128]. » Célébrons donc le cœur avec Schiller et mettons-nous au travail pour relever notre pays : Hauts les cœurs !

BIBLIOGRAPHIE

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Dr AKE Patrice Jean Assistant a l’UFR-SHS de l’UNIVERSITE DE COCODY

Lorsqu’Arès a été défait par Athéna et que son corps immense gît sur le sol, couvrant neuf arpents, la fragile Aphrodite vient le prendre par la main et cherche à l’emmener. Mais Athéna se jette sur elle, la frappe en pleine poitrine. Elle tombe, « les genoux et le cœur rompus. Les voilà tous deux étendus sur la terre nourricière[129]. » Eclatante intelligence, aussi efficace victoire à la guerre que dans la vie courrante, sur la fureur stupide et sur la passion effrénée : triomphe du nous sur le thymos et l’épithymia. Aphrodite et Arès couchés l’un près de l’autre dans la poussière et dans la fange : peut-on imaginer plus clair symbole de la déchéance de l’âme en proie à ces deux vices jumeaux, colère et luxure ?[130]

Quant à Euryloque, lorsqu’il refuse d’entrer chez la magicienne, nous voyons une âme qui s’est livrée « à de terribles querelles, à de sanglantes cruautés, obéissant à la discorde ou à la haine. Son thymos est complètement assauvagi lorsqu’elle arrive au seuil de la réincarnation. Pleine de fraîche irritation et de lourd ressentiment, elle s’élance sur une forme de loup ou de lion : à sa passion dominante elle donne ce corps comme un instrument protecteur bien approprié[131]. » Il n’est pas très difficile de reconnaître le héros qui a servi de modèle pour ce portrait : Ajax, que Platon envoie, dans la République[132], habiter un corps de lion. Les « terribles querelles », c’est la dispute avec Ulysse pour les armes d’Achille ; « les sanglantes cruautés », le massacre des troupeaux ; l’irritation, « le lourd ressentiment » rappellent la scène de la Nékya où l’ombre d’Ayax se tient à l’écart, boudeuse, « pleine de colère » contre Ulysse[133]. « Il faut donc, continue Porphyre, aux approches de la mort surtout, chercher la pureté, comme on le fait dans les cérémonies d’initiation ; il faut tenir son âme à l’abri de toute impression mauvaise. Nous devons calmer, endormir les méchants appetits, rejeter bien loin envie, haine, colère (toutes exacerbations du thymos). Et le corps dont nous sortirons sera celui d’un homme sage[134]. »

Le thymos chez Platon[135] et St Augustin, est-ce le souffle, la vapeur (pneuma) ou encore le courage, la colère, les emportements ? Est-ce du sang échauffé ? Le thymos est-il l’allié ou l’ennemi de la raison, incarné par Achille ou personnifié dans Arès ? Commençons par une approche éthymologique.

1. LE THYMOS, APPROCHE ETYMOLOGIQUE et le sens du thymos chez homere

Le thymos, dans un premier sens, renvoie à l’âme, au cœur, en tant que principe de la vie, tout en se distinguant de psychè qui peut dsigner l’âme des morts, l’ardeur, le courage, le siège des sentiments et notamment de la colère. Chez Platon, le thymos ou le thymoeidès est l’une des trois parties de l’âme, le siège des passions nobles. Premier terme de composé dans les mots parfois explosifs comme par exemple, thymo-boros, qui dévore le cœur, avec boréo, ou encore thymo-eres, qui réjouit le cœur, de la racine de ararisko, ou bien thymo-léon, au cœur de lion. Il existe plus de 60 exemples de composés avec thymos au second terme, et constitués avec des adverbes ou prépositions, qui présentent une grande importance : athymos (découragé), avec éo, is, dus (triste), avec ia, éo, aino ; eu (généreux, de bonne humeur), avec ia, eo. Avec des préverbes hyperthymos (plein de cœur), parfois orgueilleux, prothymos (disposé à, de bonne volonté, avec des dérivés prothymia, prothyméomai). Une autre série importante est constituée avec le préverbe én : énthymos (qui a de l’idée), mais on a enthymos (qui est à cœur, sujet de préoccupation), et le verbe enthymeomai (se mettre dans l’esprit, réfléchir à, penser à), avec enthymema (idée, argument), enthymène, enthymesis (considération, idée). Il existe d’autres formes rares : enthymia (inquiétude).

Nous avons un autre groupe non moins important avec épi et de structure comparable : épithymos et épithymios sont très tardifs, mais l’on a couramment épithymia (désir), épithyméo (désirer), avec épithymesis (désir), épithymetes, qui désire, avec le féminin épithymetikos et surtout tō épithymetikon (la troisième partie de l’âme). Selon Platon, il s’agit du siège du désir, de la concupiscence. Nous avons aussi des composés plus rares comme ekthymos (ardent), apothymios (qui déplait). Quant aux dérivés de thymos, ils ne sont pas nombreux : thymidis (petite mauvaise humeur. Un adjectif : thymikos (ardent, coléreux), thymdès (coléreux). Quant aux verbes dénominatifs, nous en avons un certian nombre : thymoomai (se mettre en colère), raement thymoo (mettre en colère), avec thymona (colère). On note que toute la dérivation se rapporte à la notion de colère, d’humeur. En grec moderne, on a d’une part thymos (colère), avec thymona, de l’autre, enthuymai (se souvenir), avec enthumesis et thymese (mémoire), enfin thymedia (bonne humeur). Le rapprochement souvent repété avec le sanskrit dhumā, du latin fumus, dymu, reste difficille pour le sens, en dépit de l’existence de thymiao, faire fumer, qui suppose thymos, fumée. Il vaut peut-être mieux évoquer thyo, s’élancer avec fureur.

C’est à Homère que Platon aurait emprunté le découpage classique de l’âme en trois parties. Il savait en quel endroit du corps siège la raison, en quel endroit le thymos, en quel endroit l’épithymia. Il voit dans le cœur et la poitrine la source de nos énergies vitales : soit qu’il parle du cœur proprement dit, qu’il nomme êtor ou kradiê, mots qui désignent manifestement l’organe, soit qu’il use de thymos et phrénés, dont le sens est fort discuté. De ces deux mots essentiels nous allons expliciter le second qui nous intéresse pour cette étude.

Pour M. Onians, le thymos homérique est quelque chose de matériel, un souffle, une vapeur[136]. C’est dans ce sens qu’abondent les Stoïciens qui pensent que l’équivalent de thymos est pneuma, un souffle humide et brûlant. L’âme, pour Homère, serait quelque chose de matérielle. Le thymos est analogue à un foyer de vie que la respiration entretient, ou à un souffle de vie qui, passant par la poitrine, attise notre feu intérieur et s’y réchauffe. En ce sens le thymos n’est pas une seconde âme, qui se surajoute à la psychê, mais le véritable ressort du psychisme humain pendant la vie. Aussi bien, Homère attribue au thymos à peu près toutes les activités de ce psychisme humain : crainte, joie, colère, désir sont liés au thymos, et parfois même la pensée[137]. Les passions et la pensée siègent au même endroit que le thymos, au voisinage du cœur. Comme souffle de vie, le thymos n’a guère de rapports avec le mot cœur ; mais comme ressort des diverses activités humaines, c’est encore ce mot qui le traduit le moins mal.

Mais thymos a aussi le sens abstrait, de fougue, d’ardeur, d’élan vital. Il désigne le courage (mot que nous tirons nous-même de cœur), non le courage froid, intellectualisé, mais celui qui procède de la fureur, du désir de tuer. Le thymos est alors synomyme de colère. Chez Rohde, le thymos est pris au sens abstrait, considéré comme force spirituelle du corps vivant, « comme force pensante ou voulante[138]. » Cette notion homérique de thymos, si complexe, si malaisée à définir, va peser lourdement sur toute la psychologie des Grecs, à travers Platon, puis chez St Augustin.

2. LE THYMOS CHEZ PLATON

Platon expose sa psychologie, en langage dialectique, dans la République, et dans le Phèdre, sous forme de mythe. Rappelons le mythe du Phèdre, qui dut être décisif pour imposer aux imaginations la théorie platonicienne. L’âme, composée de l’intelligence raisonnable, du thymos et de l’épithymia, peut se comparer à un attelage ailé, dont le cocher tient les rênes de deux chevaux. Le premier cheval, de lignes harmonieuses, épris d’honneur, plein de réserve, obéit sans qu’on le frappe ; le second cheval, lourd et mal bâti, ami de la démesure et de la gloriole, est sourd aux instances du cocher ; il n’obéit qu’au fouet garni de pointes, il entraîne de force son compagnon et son conducteur[139].

Le mythe est traduit en langage clair dans la République. L’âme est une société en miniature : de même que la cité platonicienne doit comprendre, à sa base, artisans et laboureurs, et tous ceux qui travaillent à la satisfaction des besoins du corps ; au-dessus, la classe des guerriers, chiens qui protègent le troupeau ; au sommet, les philosophes ou penseurs qui dirigent l’ensemble : de même, l’âme est une sorte de pyramide à trois étages. Tout en bas, grouille la foule tumultueuse des désirs, ces impulsions irraisonnées qui poussent à boire, à manger, à aimer : passions qui sont en soi étrangères à la raison et forment le domaine de la concupiscence[140]. Tout en haut de la pyramide, un principe supérieur qui peut contredire et inhiber ces désirs : c’est l’intelligence raisonnable[141].

A l’étage intermédiaire, Platon loge un troisième principe, le thymos, la colère, comme on traduit couramment, encore que ce mot soit un peu étroit. La colère n’est pas le désir, car elle est parfois en guerre avec lui, témoin l’histoire de Léontios. Il revenait du Pirée et passait près du champ des supplices, où gisaient des cadavres. Partagé entre la répugnance et le désir de les contempler, il finit par céder au désir, courut vers ces morts, ouvrit ses yeux bien grands et leur cria, furieux : « Tenez, misérables, rassasiez-vous du beau spectacle[142] ! »

La colère n’est pas non plus la raison, bien qu’elle cède souvent à cette dernière, comme le chien écoute la voix du berger qui le rappelle. Et de même que le chien aide le berger à rétablir l’ordre dans le troupeau, ainsi la colère prête son appui à la raison pour calmer dans l’âme les séditions des instincts. Mais le thymos n’est pas toujours l’allié de la raison. Il se révèle plutôt frère du désir. A l’image du désir, le thymos a souvent besoin d’être dompté par la partie intelligente de l’âme, par le nous. Homère, selon Platon, a bien mis en évidence le dualisme du thymos et du nous, lorsqu’il prête à Ulysse la fameuse apostrophe : « Se frappant la poitrine, il gourmandait son cœur : - Patience, mon cœur[143] ! » « Dans ce passage insiste Platon, Homère a manifestement représenté comme deux choses différentes dont l’une gourmande l’autre, la raison, qui a réfléchi sur le meilleur et le pire, et la colère, qui est déraisonnable[144]. »

Cette division platonicienne de l’âme a de quoi surprendre un psychologue moderne, qui l’aborde sans venir des poèmes homériques. Le point le plus curieux est ce thymos, inséré comme un moyen terme entre la raison et les passions, qui englobe et la fureur irréfléchie, et le courage teinté de réflexion, qui confine à la volonté, d’ailleurs absente du partage[145]. Platon a-t-il, à la suite d’Hippodamos de Milet envisagé d’abord les trois classes sociales, artisans, guerriers, chefs, et calqué ensuite sur elles ses trois parties de l’âme ? Mais l’individu, il le souligne lui-même, est antérieur à l’Etat[146].

Le troisième principe de l’âme est celui que Platon nomme épithymia. Le Timée en donne une définition : « l’appétit du manger et du boire, et de tout ce dont le corps a naturellement besoin ». Les dieux ont logé ce principe des désirs « dans la région qui s’étend depuis le diaphragme, et qui est limitée par le nombril. Dans tout cet espace, ils ont organisé comme une mangeoire pour la nourriture du corps. Et là ils ont attaché cette partie de l’âme, comme une bête brute qu’il faut bien nourrir[147]… » Fort éloignée de la tête où trône la raison, cette âme « ventrale », si l’on peut dire, est à peu près sourde aux suggestions de l’intelligence.

Les deux classes inférieures de la cité platonicienne répondent l’une, à la classe populaire, composée des laboureurs, des artisans, des commerçants. Elle est axée sur la satisfaction des besoins corporels et s’appelle l’épithymétikon ou plus prosaïquement le ventre. L’autre, la classe des guerriers, obéit à cette force plus noble qui s’appelle le thymos, le cœur si l’on veut. Les vrais chefs, qui son à la tête de l’Etat, ne se laissent guider que par la tête, par la raison.

3. LE cor CHEZ ST AUGUSTIN

Le terme cor est récurrent dans l’œuvre augustinienne ; il a une valeur métaphysique et se trouve employé le plus souvent en lien avec des citations scripturaires[148]. Si l’on veut faire droit à l’enracinement scripturaire de la réflexion d’Augustin et respecter le caractère concret et existentiel de son approche, il est opportun de privilégier la prédication dans l’ensemble du corpus augustinien, tout en prenant en compte les emplois du terme cor dans le reste de l’œuvre.

La lecture d’Augustin conduit à un premier constat : le cœur est qualifié de façon multiple et contrastée ; la prise en compte de ces qualificatifs permet de mettre en lumière comme une « phénoménologie » du cœur ; l’Ecriture rend en effet Augustin sensible à la diversité des attitudes spirituelles. Cette diversité, toutefois, n’exclut pas des traits communs au cœur humain ; elle se fonde même sur ce qui est en est l’élément constitutif : une intériorité dynamique et foncièrement orientée vers Dieu, même si l’homme ne le reconnaît pas nécessairement. Rien d’étonnant alors à ce que le cœur soit le lieu par excellence de l’action divine en l’homme : il est façonné par Dieu, illuminé par le Christ et associé à sa Pâque, dilaté par l’Esprit.

3.1. LES DISPOSITIONS DU cœur

La richesse des qualificatifs scripturaires du cœur donne à Augustin l’occasion de décrire la diversité des attitudes spirituelles, en faisant appel à l’expérience de ses auditeurs. On ne trouve aucune organisation systématique de ces attitudes du cœur, mais des récurrences significatives : telle ou telle disposition se trouve régulièrement caractérisée par l’association à l’un ou l’autre verset scripturaire, par une antithèse éclairante ou encore par une image suggestive. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut esquisser ici quelques-unes de ces dispositions du cœur.

Une attitude fondamentale est celle du cœur droit et du cœur tortueux : cor rectum/cor distortum ou cor prauum. L’image appelée par les termes rectus et distortus est celle du bois tordu qui, placé sur un pavement égal, « ne s’y adapte pas, n’y adhère pas, ne s’y applique pas, mais remue toujours et manque d’aplomb » : semblablement, le cœur, tant qu’il est prauum ou distortum, ne peut « s’aligner avec la rectitude de Dieu[149] » Une telle disposition du cœur devient manifeste d ns l’épreuve : au lieu d’y adhérer à la volonté de Dieu, l’homme se met à accuser Dieu d’injustice ou encore à nier l’existence de Dieu ou sa Providence. A l’inverse, un homme comme David accueille avec patience les injures d’un homme du parti d’Absalom, en se soumettant à Dieu et en reconnaissant en toutes choses sa justice[150]. L’opposé du cœur droit peut-être aussi le cœur « incurvé[151] ».

L’antithèse du cœur double et du cœur simple apparaît dès les premiers écrits d’Augustin : dans les premières Enarrationes in Psalmos et dans le De sermone Dominici in monte. Le cœur double est d’abord la caractéristique de l’homme qui profère un mensonge[152] ou encore qui simule le bien en recherchant la vaine gloire[153]. De façon plus générale, la 7è Homélie sur l’évangile de Jean le définit comme le propre de « ceux qui font dans leur cœur une part à Dieu et une part au diable[154] ». La simplicité du cœur, à l’opposé, consiste à « ne rechercher que le bien simple et à lui rapporter toutes nos actions[155] ». Le cœur simple, c’es donc « le cœur pur qui, au-delà des louanges humaines, dans la rectitude de sa conduite, ne recherche ni ne se soucie que du seul qui lit dans la conscience[156] ». C’est encore un cœur chaste qui n’attend d’autre récompense que Dieu lui-même[157].

La pureté du cœur est constamment associée à la capacité de voir Dieu, en lien avec l’Evangile de Mathieu[158]. Mais « qui se glorifiera d’être pur de tout péché [159]? » Le verset suivant : « que mon cœur devienne sans tache[160] » est à entendre comme une prière, et non comme une affirmation présomptueuse[161] : il ne saurait devenir réalité sans une purification. Le cœur humain est en effet corrompu : dans le Commentaire du psaume 102, 6, Augustin le décrit comme « harcelé de pensées, d’une foule d’imaginations, de peuples de suggestions » : « tout cela comme autant de vers qui naissent de sa corruption ».

Le registre de la maladie ou de l’infirmité est très largement exploité par Augustin, surtout pour expliquer l’incapacité du cœur à percevoir les réalités divines. La parole de Dieu ne peut être douce que pour celui qui a « le palais du cœur sain[162] ». L’œil du cœur est blessé ou aveugle : l’affirmation est récurrente dans les Homélies sur l’évangile de Jean, car Jean, en prêchant la divinité du Verbe, expose un enseignement inaccessible à des hommes charnels dont le cœur, rempli de ténèbres, ne peut voir à découvert et supporter la lumière elle-même[163]. Le cœur peut aussi être fermé, faute d’avoir « la clé de la foi[164] ». De façon moins imagée, Augustin exprime l’incapacité de l’homme à comprendre les réalités spirituelles en qualifiant le cœur d’ « insensé[165] ».

Le cœur au repos est désirable, mais Augustin met en garde contre sa contrefaçon : le pécheur peut vivre, en effet, « dans une sécurité trompeuse, pensant qu’il n’y a rien après cette vie qui doit finir un jour, négligent et indolent(socordem), ayant le cœur étouffé par les charmes du monde et assoupi dans des plaisirs mortels[166] ». Mieux vaut un cœur « inquiet » ! L’expression, toutefois, peut s’appliquer à des hommes bien différents : à l’homme mauvais comme au juste persécuté et à l’homme qui aime Dieu. L’homme mauvais ne peut avoir le cœur en repos, car il est « pressé par sa mauvaise conscience » : il est « comme un homme que ferait fuir de sa maison l’eau qui y pénétrerait ou la fumée qui la rendrait inhabitable » ; « lui, de même, ne peut habiter volontiers dans son cœur[167] ». Un tel homme fait tout pour trouver un repos illusoire dans les plaisirs : on a là une anticipation du divertissement pascalien. Le commentaire du psaume 91,3 souligne également que l’homme mauvais ne peut connaître le sabbat du cœur, qui suppose la tranquillité d’une bonne conscience et qui met à l’abri du trouble : « s’il fait le mal, il cherche qui en accuser, que ce soit Satan, la destinée ou même Dieu ; s’il fait le bien, il se l’attribue à lui-même. Mais l’homme juste qui est dans l’épreuve risque également de se troubler et de perdre le sabbat du cœur, en voyant la réussite des méchants[168]ou en constatant qu’il s’efforce en vain de corriger ses frères[169]. L’inquiétude du cœur peut enfin être celle d’un homme qui ne désire plus que Dieu seul[170].

L’épisode évangélique de la tempête sur le lac est constamment interprété comme s’appliquant aux tempêtes intérieures qui agitent le cœur : en particulier, quand il est en butte à la persécution ou à la calomnie[171] et qu’il est tenté par le désir de vengeance ; la description de la 49è Homélie sur l’évangile de Jean(§19) est très suggestive : « Les vents pénètrent dans ton cœur ; oui, pendant que tu navigues, pendant que tu traverses cette vie comme une mer déchaînée et remplie de dangers, les vents s’engouffrent, ils soulèvent les vagues, ils secouent la barque. Quels sont ces vents ? Tu as entendu des invectives, tu t’irrites ; l’invective est le vent, la colère est la vague ; tu es en danger, tu te disposes à répondre, tu te disposes à rendre l’insulte pour l’insulte, déjà la barque est sur le point de sombrer, réveille le Christ qui dort. Si tu es secoué en effet et si tu te prépares à rendre le mal pour le mal, c’est que le Christ dort dans la barque : le sommeil du Christ dans ton cœur, c’est en effet l’oubli de la foi. »

Le commentaire du psaume 99, 11 décrit même le cœur comme un véritable champ de bataille : certes « nous voulons tous tenir nos cœurs bien fortifiés pour que n’y entre aucune suggestion mauvaise ». Mais la suggestion entre, on ne sait comment, et chacun doit « lutter en son cœur avec une foule » ! Il est difficile de ne pas se faire blesser. Il est en tout cas impossible d’être en sécurité.

La localisation du cœur est encore une autre manière de décrire l’état spirituel de l’homme. Le cœur peut en effet être lourd, appesanti, c’est-à-dire attiré par les plaisirs charnels, les biens terrestres[172] ; mais « il pourrit, quand il est sur terre[173] ». Il importe donc d’élever son cœur vers Dieu, comme y invite la liturgie : Sursum cor[174]. Les commentaires qu’Augustin fait des Cantiques des degrés pendant l’hiver 406-407 sont pour lui l’occasion de décrire « l’ascension qui se fait dans le cœur vers Dieu à partir de la vallée des pleurs[175] ». Le point de départ, c’est-à-dire la vallée des pleurs, signifie la nécessité de l’humilité, dont le Christ, le premier, nous a donné l’exemple dans les humiliations de sa Passion[176] : c’est en effet l’orgueil qui fait tomber. A l’inverse, « la charité nous met en branle pour marcher, progresser, monter[177] ». L’amour a donc un rôle déterminant dans l’ascension, tout comme il est « le cri du cœur », alors que « le refroidissement de la charité est le silence du cœur[178] ».

L’antithèse qui apparaît ici entre l’orgueil e la charité est déterminante. L’homme orgueilleux est celui dont le cœur « devient de glace contre Dieu » : son cœur endurci, fermé à Dieu, ne peut porter de fruit, car il n’accueille pas la rosée de la grâce[179]. C’est encore l’homme au cœur incirconcis qui résiste à l’Esprit Saint[180]. A l’opposé, le cœur empli de la charité, c’est-à-dire de l’Esprit Saint est « ouvert » et « dilaté »[181], ou encore « touché de componction »[182] - ce qui met en lumière la douleur du repentir. Le cœur endurci, en effet, doit être brisé, humilié[183], car, sans l’humilité, on ne peut approcher de Dieu[184].

Orgueil, charité : c’est là le principe des deux cités, Babylone et Jérusalem. C’est par le cœur, d’abord que l’on appartient à l’une ou l’autre cité. C’est aussi par le cœur que l’on commence à passer de l’une à l’autre[185] : les affectus sont en effet « les pieds du cœur[186] ; c’es donc en passant de l’amour du monde (amor saeculi) à l’amour de Dieu(amor Dei), de la cupiditas à la caritas, que l’on sort de Babylone et que l’on entre dans Jérusalem. Babylone signifie « confusion », Jérusalem équivaut à « vision de paix[187] » : de fait, seule, la charité fait de tous les cœurs « un seul cœur » et établit en vérité la « concorde »[188] ;

3.2. « MON cœur, LA OU JE SUIS CE QUE JE SUIS »

Les affections du cœur et son orientation sont donc déterminantes, dans la perspective augustinienne, puisqu’elles conditionnent l’appartenance à l’une ou l’autre cité. Il importe de se demander pourquoi, autrement dit de s’interroger sur la manière dont Augustin définit le cœur et la place qu’il lui donne dans son anthropologie. La diversité des attitudes spirituelles que l’analyse précédente a mise en lumière à partir des qualificatifs appliqués au cœur a, en effet, pour présupposé certains traits fondamentaux du cœur, communs à tous les hommes, quelle que soit leur diversité. Ce sont ces traits constitutifs qu’il faut dégager.

3.2.1. CENTRE INTIME DE L’ETRE

Le cœur se définit d’abord comme intériorité. Ex corde suo, ex intimo suo, les deux expressions sont équivalentes[189]. Le jeu des antithèses, d’une part, le choix des images, d’autre part, le manifestent fortement et éclairent certains aspects de l’anthropologie augustinienne.

Augustin oppose souvent le corps ou la chair au cœur : Judas, par exemple, « ne suivait pas le Seigneur de cœur, mais de corps[190] » ; de même, ceux qui ont élevé Jésus sur la croix étaient proches de lui par le corps, mais loin de lui par le cœur[191]. Augustin note encore que le gémissement du cœur est autre que celui de la chair[192] ou que les yeux du cœur qui recherchent la lumière divine ne sont pas à confondre avec ceux du corps qui recherchent la lumière du soleil[193].

De façon plus précise, il remarque qu’il peut y avoir une adéquation ou même une contradiction entre la langue et le cœur. La langue est en effet impuissante à dire ce que comprend le cœur[194]. Parfois aussi, le cœur, ici manifesté par les actes, nie ce que la voix affirme[195]. Le commentaire du psaume 39 (§ 16-17) approfondit la réflexion sur le divorce possible entre le cœur et les lèvres, en distinguant deux cas : par crainte, on n’ose pas dire ce qu’on sait ou ce qu’on croit ; par dissimulation, on dit ce que l’on n’a pas dans le cœur. Pour être en paix avec soi-même, il est nécessaire au contraire « que les lèvres disent ce que le cœur renferme, et cela contre toute crainte, et que le cœur renferme ce que disent les lèvres, et cela contre toute dissimulation ».

L’antithèse entre le cœur et telle ou telle partie du corps est aussi exploitée par Augustin pour inviter les fidèles à une intériorisation de leur foi. Ainsi, autre chose est de recevoir l’extérieur dans les oreilles », autre chose de « recevoir spirituellement l’intérieur dans le cœur[196] ». De même, il ne suffit pas de porter le signe de la croix sur le front, il faut le porter aussi dans le cœur, c’est-à-dire aimer l’humilité[197]. L’antithèse permet également à Augustin de mettre en garde contre des représentations charnelles ou anthropomorphiques de Dieu : « ce n’est pas avec les yeux mais avec le cœur qu’il faut le chercher » ; ce qui signifie qu’on fait fausse route en se représentant « une foule immense », « une grandeur infinie que l’on étend dans l’espace, comme la lumière que voient nos yeux » ou encore en se représentant « un vieillard à l’aspect vénérable » ; le cœur qui voit les actes de charité permet de voir Dieu beaucoup plus sûrement[198].

Ce jeu d’antithèses ne doit pas masquer, toutefois, qu’il n’y a pas pure et simple opposition entre le cœur et le corps, car les paroles ou les gestes émanent du cœur et la conduite renvoie alors, plus profondément, à une division intérieure du cœur : le cœur lui-même est « double ». Dans le cas du mensonge ou de la dissimulation, en effet, il y a dans l’homme « comme un repli du cœur où il voit la vérité et un autre repli où il conçoit le mensonge »[199].

Les images les plus fréquentes pour évoquer le cœur sont celles de l’intériorité : qu’il s’agisse de l’image de la maison[200], de la chambre[201], du coffre[202], du champ qui reçoit la semence[203]ou encore de l’abîme[204]. Ces images suggèrent les profondeurs secrètes du cœur. Augustin rappelle souvent que nous ne connaissons pas le cœur des autres[205] : tant et si bien que nous nous défions d’amis fidèles et nous nous confions à des amis infidèles[206]. Cette propriété du cœur est ce qui permet à l’homme de cacher ce qu’il pense, mais elle préserve aussi sa liberté, quelle que soit la contrainte extérieure que l’on fait peser sur lui[207]. L’image de l’abîme exprime au mieux notre incapacité radicale à connaître le cœur d’autrui et même le nôtre. L’abîme est en effet « une certaine profondeur qu’on ne peut sonder, dont on ne peut saisir les limites », « une profondeur qu’on ne peut sonder jusqu’au fond[208] ». Il y a donc une opacité de soi à soi telle qu’on peut se faire illusion sur ses intentions ou sur ses capacités[209]. Mais Dieu sonde le cœur de l’homme[210] : c’est en vain qu’on cherche à lui cacher quelque chose[211].

Le cœur, dans la perspective augustinienne, est donc « le foyer même de l’intériorité[212] ». Les termes cor et homo interior sont constamment liés à partir de la citation paulinienne d’Ep 3, 17, qu’Augustin lisait selon une ponctuation différente de la nôtre, comme le montre S. 165,2,2 : in interiore homine habitare Christum per fidem in cordibus uestris. Les deux termes sont même identifiés[213], si bien qu’Augustin découvre dans le cœur tous les organes qui existent dans le cœur. Le cœur a donc ses sens – yeux, oreilles, goût, odorat, toucher -, mais il a aussi des mains, une bouche, une langue, un ventre, etc[214]. Cette représentation, sans doute un peu déconcertante aujourd’hui, a du moins le mérite de faire saisir concrètement comment le cœur est, dans l’homme, « le point où se rencontrent toutes ses puissances et d’où rayonnent toutes ses activités[215] ». La citation paulinienne permet en outre d’affirmer que le cœur est le lieu où Dieu habite. On comprend alors l’exhortation continuellement reprise par Augustin : redi ad cor[216]. Elle suppose, d’une part, que l’homme puisse vivre comme à l’extérieur de lui-même, autrement dit se fuir lui-même, d’autre part, que l’accès à Dieu passe par le retour en soi-même. Foris, intus, supra me : tel est, de fait, le chemin obligé pour revenir à Dieu[217]. Que l’on se rappelle la belle formule des Confessions[218] : Tu autem eras interior intimo meo et superior summo meo. Elle suffit à justifier l’exigence du retour à son propre cœur. Si le cœur est le centre intime de la personne, Dieu est à découvrir lui-même au plus intérieur de ce centre, si bien que le pécheur qui se convertit le trouve en son propre cœur que Dieu n’avait jamais abandonné, mais que l’homme avait comme déserté[219].

3.2.2. PRINCIPE DE TOUTE PENSEE ET DE TOUT JUGEMENT

Centre intime de la personne, le cœur ne se réduit nullement à l’affectivité. Il a, comme le cœur biblique, une fonction de connaissance et Augustin emploie, de façon quasi synonyme, les termes cor et mens. Des expressions scripturaires comme « les pensées du cœur[220] » ou « dire en son cœur[221] » conduisent, en effet, Augustin à voir le cœur comme le lieu où l’homme pense[222] : « quiconque pense, même sans bruit de paroles, parle dans le fond de son cœur[223] ». Le verbe ainsi engendré par le cœur n’est « ni grec, ni latin, ni de quelque autre langue » mais, pour le faire connaître à autrui, il faut recourir à des signes, comme les sons, les lettres ou les gestes. Ce verbe peut également se concrétiser au dehors dans un acte : la construction d’une maison, par exemple. Il correspond, en ce cas, au dessein que l’homme conçoit et qui existe en son cœur, de façon tout intérieure, avant la réalisation matérielle qui en est l’expression. Augustin recourt souvent à ces analyses pour faire comprendre, par analogie, comment le Verbe est engendré par le Père et comment la création manifeste le Verbe créateur[224].

Le cœur permet à l’homme de « sentir ». La 18è Homélie sur l’évangile de Jean (§10) l’explique ainsi : « …le goût fait, connaître au (même) cœur ce qui est doux et ce qui est amer, le toucher fait connaître au même cœur ce qui est lisse et ce qui est rugueux, et le cœur se fait connaître à lui-même le juste et l’injuste… » Le cœur joue donc déjà un rôle dans la connaissance sensible des objets corporels ; mais il a également lui-même ses propres sens intérieurs et ceux-ci sont bien supérieurs aux sens corporels comme Augustin s’efforce de le montrer dans la Lettre 147, 17,41.

Cette aptitude à discerner le juste et l’injuste, le bien et le mal, est indissociable de la conscience. Cor et consciencia sont, de fait pratiquement équivalents dans certains textes[225], mais le terme conscientia a un sens plus restreint et ne correspond qu’à un aspect de l’activité du cœur[226]. Le cœur est donc ce qui permet à l’homme de connaître l’intention qui est au principe de son acte et d’en discerner la valeur ; il est aussi ce qui l’accuse intérieurement, lorsqu’il n’agit pas avec l’intention qu’il doit avoir[227]. Une telle aptitude serait impensable si Dieu n’avait gravé dans le cœur humain « la loi naturelle », autrement dit la règle d’or : « ce que tu ne veux pas qu’on te fasse, ne le fais pas à un autre »[228]. Le commentaire du psaume 57,1 montre comment tout homme, si injuste soit-il, reste capable de dire ce qui est réellement juste, pourvu que son intérêt ne soit pas en cause : il suffit, en effet, de l’interroger sur le mal qu’il ne veut pas avoir à subir de la part des autres ou, à l’inverse, sur le bien qu’il attend d’eux, pour qu’il soit contraint de reconnaître que le vol ou l’adultère est un mal ou qu’il est inhumain et injuste de ne pas accueillir l’étranger qui n’a pas de toit.

3.2.3. PRINCIPE DE TOUTE VOLONTE LIBRE ET DE TOUT AMOUR

Le cœur se caractérise encore comme le dynamisme intérieur qui anime l’homme. Le De anima et eius origine[229]souligne la corrélation essentielle qui fonde l’emploi métaphorique du mot « cœur » : « Je n’ignore pas que, quand nous entendons exhorter à aimer Dieu de tout notre cœur, cela ne concerne pas cette petite partie de notre chair qui est cachée sous nos côtes, mais ce dynamisme d’où naissent les pensées. Il porte à bon droit ce nom, car, de même que le mouvement ne cesse pas dans le cœur, dont la pulsation se répand jusque dans les veines, de même, sans repos, notre pensée s’agite toujours. »

Le plus souvent, néanmoins, le mouvement qui anime le cœur est associé par Augustin, non à la pensée, mais à la volonté. Cor et voluntas sont proches, si bien qu’Augustin passe sans transition d’un terme à l’autre : ainsi le cœur est droit, si la volonté est droite[230] ; les affectus peuvent être définis indifféremment comme mouvements du cœur ou de la volonté. Ici encore, toutefois, on peut noter que le mot cor a un sens plus large : c’est la volonté qui est dans le cœur, et non l’inverse[231]. Parmi les affectus qui touchent le cœur, l’amour a une place à part : agir par crainte, en effet, ce n’est pas agir ex corde ; on ne fait « du fond du cœur » que ce que l’on fait par amour. Dans le commentaire du psaume 134,11, Augustin se demande s’il y a quelque chose qu’on fait vraiment par libre volonté et non par nécessité. Il répond que nous agissons par notre libre volonté lorsque nous agissons en trouvant de la joie (delectati), lorsque nous agissons en aimant (amando) et il en conclut qu’il suffit d’offrir à Dieu sa volonté, car ce que Dieu demande, c’est notre cœur.

Finalement le cœur est le lieu de notre identité. Centre intime de l’être, principe de toute pensée et de tout jugement, comme de toute volonté libre et de tout amour, le cœur désigne dans leur unité indifférenciée toutes les forces vives de l’homme intérieur. C’est donc en revenant à son cœur que l’homme se trouve lui-même. Mais, en même temps et de façon indissociable, c’est en revenant à son cœur qu’il trouve Dieu.

CONCLUSION

Chez Platon[232] est le cœur est une notion complexe qui renvoie à la partie intermédiaire et régulatrice de l’âme dans le Timée[233]. A partir de la République et du Phèdre, le thymos apparaît bien comme un élément constituant à part entière de l’âme et distinct, en nature et en fonction, à la fois de l’esprit (nous) et du domaine des désirs (épithyméticon)[234]et le chevalier noir du Phèdre. Représenté par la classe des guerriers dans la tripartition sociale de la République, le thymos est d’abord un élan primitif axiologiquement neutre et pouvant exprimer aussi bien la colère ou l’amour, enracinés dans l’épithyméticon, que le courage et l’ardeur orientés vers le nous. L’éducation des guerriers, dont Platon trace le programme dans les livres IV, V et VI de la République, consiste à mettre la puissance du thymos au service d’une raison (le nous, les gardiens de la cité) qui, sans l’assistance du cœur, resterait incapable d’assurer sa fonction de régulation et d’harmonisation face à l’action désordonnée de l’épithyméticon dans la psukhé. La formation du thymos vaut ainsi comme pédagogie morale donnant à la vertu ses bases à la fois anthropologiques et politiques.

Mais cette notion du cœur, prend chez St Augustin, héritier du platonisme, une coloration mystique[235]. Cet auteur a permis de sentir l’action de la Trinité à l’intime du cœur de l’homme. Dans sa perspective, le cœur se définit par sa relation à Dieu. Si le cœur est le lieu de notre identité la plus profonde, c’est parce qu’il est façonné de façon unique par Dieu, à l’origine, comme à travers les événements de notre histoire. S’il est un principe de discernement qui nous permet de sentir intérieurement les réalités spirituelles, c’est parce qu’il est constamment éclairé par la Vérité, c’est-à-dire par le Maître intérieur. Enfin s’il est le principe de toute volonté libre et de tout amour, c’est parce qu’il est fait pour accueillir le don de l’Esprit d’amour qui, seul, peut le mener à son accomplissement. La diversité des attitudes du cœur confirme combien le cœur humain ne peut se trouver lui-même, sans en même temps trouver Dieu. Car, en se séparant de Dieu, il se fuit lui-même, s’obscurcit et s’endurcit. Qu’il se convertisse au contraire, il fait aussitôt l’expérience que Dieu l’habite, l’illumine et le comble de sa joie.

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LA RESOLUTION 1721 DU CONSEIL DE SECURITE DE L’ONU ET LA CRISE IVOIRIENNE
Prof. ACKA Sohuily Félix, AGREGE DES FACULTES DE DROIT

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Le 1er novembre 2006, le Conseil de Sécurité de l’ONU a pris la Résolution 1721, la dernière pour l’heure dans la série des mesures prises par la communauté internationale pour donner une esquisse de solution à la Côte d’Ivoire en crise, malade, voire au bord de l’agonie. De quelle maladie souffre-t-elle ? Quel diagnostic poser ? Quels remèdes ou/et médicaments prescrire ? A qui revient-il de proposer les solutions appropriées ? Autant de questions qui nous interpellent, rejoignant celles que pose et se pose le Cardinal Agré dans la préface de l’ouvrage de Pierre Franklin, Sur la crise ivoirienne. Considérations éparses : Réflexion sur l’arraisonnement de la Côte d’Ivoire, en ces termes : « Qui donc aura pitié de la Côte d’Ivoire ? Seul son souvenir et peut-être les plus Cultivés de ses fils. Du pays-Etat-nation, qui sera le sel et la lumière[236] ? »

Telles sont les interrogations qui nous mettent à la croisée des chemins, à cette pointe fine de la pensée où les Ivoiriens et amis de la Côte d’Ivoire, victimes d’une crise encore bien actuelle, en appellent à la délivrance par le cri lancé au sauveur de fortune en vue d’une libération messianique. Ce cri est celui de la Côte d’Ivoire blessée, marquée, défigurée. Telle Rachel qui pleure ses fils, la Côte d’Ivoire est ébranlée : elle pleure, elle souffre, elle tremble. Toutefois, un discernement s’impose. A la différence de Rachel, qui ne veut pas être consolée parce qu’elle ne les verra plus, la Côte d’Ivoire ne refuse pas ou ne se résigne pas. Elle veut être consolée et soignée ; elle veut sortir de la crise. Elle veut revivre. Mais, autour d’elle la tendance des prétendus médecins ou sauveurs est de prendre l’option qui, loin de résoudre la crise sans visage qui la mine depuis près d’une demi-dizaine d’années, l’aggrave toujours un peu plus. Quelle est cette crise ? Elle est plurielle : politique, sociale, économique, militaire, morale, juridique…

Au point de départ, le coup d’Etat du 24 décembre 1999 en Côte d’Ivoire est venu saper les fondements de la cohésion sociale, contribuant à la désorganisation du fonctionnement normal des institutions et à l’affaiblissement de l’autorité de l’Etat. Pourtant, les initiatives n’ont pas manqué de la part des Ivoiriens eux-mêmes, décidés à surmonter la crise. En témoignant les différents efforts faits pour :

1. Se donner une constitution et une loi électorale, textes fondateurs de la Deuxième République, en Août 2000.

2. Organiser des élections démocratiques et - (référendaires) – pour e donner des représentants d’Octobre Novembre 2OOO à Février 2001 ;

3. Relancer le dialogue politique et rechercher la cohésion sociale par le Forum de la réconciliation nationale de Décembre 2001.

4. Re-légitimer l’autorité de l’Etat par la mise en place d’un gouvernement de large ouverture[237].

Malgré ces acquis, des faiblesses restaient à corriger, qui ont suscité le mécontentement d’une partie de la population, transformé en un conflit armé. De sorte que, l’espoir né au lendemain de la Deuxième République fut éphémère, parce que vite ruiné par la tentative de coup d’Etat militaire survenue le 19 septembre 2002. Cette crise est exacerbée par les événements du début du mois de Novembre 2004. La conséquence en est le déplacement de plus d’un million de personnes tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, la mort de milliers de personnes, des pertes humaines et matérielles bien plus lourdes que celles données dans les statistiques officielle souvent sporadiques, parcellaires et discutables du point de vue de la fiabilité des données.

Depuis cette date, la Côte d’Ivoire est divisée en deux : la rébellion occupant la partie nord du pays, et le gouvernement légal la partie sud. Dans ce contexte de désordre, des violations flagrantes des droits de la personne ont été observées et la plupart des administrations publiques étatiques et territoriales ont cessé de fonctionner et même d’exister – notamment dans les parties nord, centre et ouest du pays – rendant plus difficile encore pour les populations touchées l’accès aux services de base.

C’est pour aider à sortir de cette situation de crise, - voire d’impasse -, que la Communauté internationale a pris diverses initiatives et mesures s’inscrivant dans les voies de recherche de la paix. Au total, 19 résolutions dont la 1721 est la dernière pour l’heure et l’une des plus importantes. Dix semaines après son intervention dans la crise ivoirienne, quel regard peut-on jeter sur ce texte ? Pour répondre à cette question centrale, trois aspects peuvent être retenus :

ü D’abord, le contexte de prise de la résolution 1721 ;

ü Ensuite, l’analyse du texte de la résolution 1721 ;

ü Enfin, l’application de la résolution 1721.

1. LE CONTEXTE DE PRISE DE LA RESOLUTION

Le contexte de prise de la Résolution 1721 s’enracine dans les discussions amorcées à la suite des événements du 19 Septembre 2002, et des tentatives de solutions dont les moments les plus importants sont : les Accords de paix de 2003 à 2005, la résolution 1633 du 21 Octobre 2005, et la décision du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine du 17 Octobre 2006.

LES LINEAMENTS DE LA RESOLUTION 1721 DANS LES ACCORDS DE PAIX

Préoccupée par les risques d’extension du conflit armé ivoirien à la sous région, la communauté internationale fut conduite à proposer des solutions notamment par la prise de mesure au nombre desquelles figurent en première place la conclusion de plusieurs accords.

Le premier, est l’Accord de paix le 23 janvier 2003. Cet accord conclu à Linas Marcoussis, en France, par l’ensemble des forces politiques de la Côte d’Ivoire, prévoyait plusieurs dispositions à prendre en vue d’une solution pacifique à la crise. Ces mesures peuvent être regroupées en cinq(05) points.

Premier point concerne les actions d’urgence : a) – la nomination d’un Premier Ministre dit de consensus ; b) – la formation d’un gouvernement dit de Réconciliation Nationale ; c) – la prise de diverses mesures législatives relatives à l’identification des personnes et de réglementation du séjour des étrangers, aux Droits de l’Homme, au foncier rural, au statut des partis politiques et de l’opposition, au régime électoral, au régime juridique de la presse et de la communication audiovisuelle, à la nationalité.

Deuxième point vise la modification de la constitution : se confondant au point de l’Accord de Marcoussis relatif à la tenue d’élection transparente et ouverte, la Communauté internationale générale et sous-régionale, par la lettre du médiateur Thabo M’Beki, obligent la partie gouvernementale et en l’occurrence le Chef de l’Etat à procéder à la modification de l’article 35 de la Constitution en vue de rendre éligible Monsieur Allassane Dramane Ouattara contre qui fut prononcée la décision d’inéligibilité par le juge constitutionnel, pour les élections présidentielles de l’an 2000. La modification attendue visait à exclure l’examen à nouveau de cette candidature par le juge constitutionnel, de peur qu’elle ne soit rejetée à nouveau. Recourant à l’application de l’article 48, le Président de la République a souscrit à une telle modification qui lui fut imposée contre l’ordre constitutionnel…

Troisième point qui est relatif à l’attribution et l’extension des pouvoirs du Premier Ministre par une délégation qui doit lui être faite par le Président de la République, en vue de lui permettre d’accomplir ses tâches, tâches qui lui sont précisées dans une feuille de route.

Quatrième point l’amnistie des rebelles : l’Accord de Linas-Marcoussis, dans le souci de mettre les rebelles en confiance, invite l’Exécutif à initie une loi d’amnistie et à « veiller à faire voter et adopter par l’Assemblée Nationale. Cette dernière exigence de l’Accord est destinée non seulement à leur permettre de faire partie du gouvernement, mais surtout pour leur permettre d’accomplir la mission à eux confiée sans crainte pour leur vie et leur liberté.

Cinquième point, le RDDR : la seule obligation qui a été mise à la charge de rebelles par l’Accord de Marcoussis, tient en quatre(04) mots qui s’inscrivent dans des actions concrètes à mener en vue du retour à la paix : leur regroupement, leur désarmement, leur démobilisation et leur réinsertion (RDDR).

Des avancées notables par rapport à l’Accord de Marcoussis ont pu être observées dans le domaine des réformes politiques. La nomination d’un Premier Ministre dit de consensus a ouvert la voie à la mise en place d’un Gouvernement dit de Réconciliation Nationale le 13 Août 2003, consécutive à la dissolution du Gouvernement de large ouverture formé un an plus tôt (5 Août 2002). Il fut assigné au Gouvernement de Réconciliation Nationale, en plus des missions d’ordre législatif telles qu’annexées à l’Accord et mentionnées plus haut, la restructuration des forces de défense et de sécurité, le redressement économique et la cohésion sociale.

Malheureusement, dans sa mise en œuvre, l’Accord de Marcoussis fut confronté à des blocages dus aux principaux acteurs de la crise. Il a fallu recourir à d’autres accords : Lomé, Accra I, puis Accra II et Accra III et Pretoria[238]. L’impressionnant arsenal juridique constitué par la Constitution et les lois ivoiriennes, ainsi que les divers accords conclus, témoigne de la difficulté pour les acteurs de la crise à s’entendre sur le minimum. Dans la mesure où la solution n’a pu encore être obtenue, l’ONU s’est impliquée dans la recherche de solution non seulement par l’envoi en Côte d’Ivoire de diverses personnalités notamment : les représentants pour les opérations DDR, les représentants pour les élections et de forces – notamment les casques bleus, mais aussi par la prise de diverses résolutions, au nombre desquelles la 1633 occupe une place charnière et sert d’enracinement à la Résolution 1721.

L’ENRACINEMENT DE LA RESOLUTION 1721 DANS LA RESOLUTION 1633

Par la Résolution 1633 du 21 Octobre 2005, le Conseil de Sécurité de l’ONU, reconnaissant l’impossibilité à organiser les élections dans les délais constitutionnels fixés pour le 31 Octobre 2005 au plus tard, a décidé :

ü Du maintien au pouvoir du Chef de l’Etat pour une période n’excédant pas douze mois à compter du 31 Octobre 2005 ;

ü Du choix d’un nouveau Premier Ministre « de consensus », « acceptable pour tous ». Nommé le 5 Décembre 2005, ce Premier Ministre se trouvait investi « de tous les pouvoirs nécessaires » à l’exercice de ses missions dont les plus importantes, inscrites dans feuille de route, sont de :

ü Conduire le gouvernement de transition (formé le 28 décembre 2005) ;

ü Prendre les dispositions pour guider le pays en vue de la tenue des prochaines élections présidentielles prévues pour le 31 Octobre 2005.

A l’issue de douze mois d’exercice (2005-2006), le Gouvernement de Transition a mené quelques actions notables dont certaines ont connu des réussites, et d’autres des entraves.

Au titre des réussites :

ü La première action, c’est la mise en place de sept (07) sites pilotes des audiences foraines qui délivrent des jugements supplétifs et des certificats de nationalité.

ü La deuxième action, c’est la mise en place de la Commission Electorale Indépendante (CEI) dont les termes de référence sont d’établir les listes électorales, de faire le découpage, d’organiser les élections et de proclamer les résultats des élections ainsi que de voir si le processus d’identification, qui relève du Ministère de l’Intérieur et de l’Administration Territoriale, se déroule dans de bonnes conditions.

ü La troisième action, c’est la relance du dialogue direct sur le désarmement entre les forces combattantes.

Au titre des entraves :

D’une part, les réussites paraissaient elles-mêmes déjà émaillées de difficultés. Par exemple : bien que les essais soient concluantes, des suspicions ont été créées au sujet de la crédibilité de ces audiences. Il en a résulté à nouveau un blocage du processus de sortie de crise. Cette ambiance de suspicion a éloigné la perspective de la tenue des élections libres et transparentes le 31 Octobre 2006 comme prévu par la Résolution 1633 du Conseil de Sécurité et leur report à une date ultérieure. Par exemple : diverses difficultés sont nées quant à la composition de la Commission électorale indépendante, de ses membres à nommer, des pouvoirs qui leur sont reconnus, des membres ayant voix consultative ou délibérative.

D’autre part, le programme d’identification devant conduire à la délivrance des cartes nationales d’identité à tous les résidents de nationalité ivoirienne et des titres de séjour aux résidents de nationalité étrangère a connu et connaît à ce jour de réelles difficultés en raison des revendications très diverses opposées par les diverses tendances politiques voulant s’approprier le « bénéfice de l’opération ».

Enfin, le processus DDR (Désarmement, Démobilisation, Réinsertion des combattants ainsi que le démantèlement des milices favorables au pouvoir en place) est au point mort alors que des financements avoisinant la somme de 600.000.000 fcfa ont été obtenus et mobilisés pour ces opérations).

Face à ces entraves à la tenue des élections présidentielles, le constat fut fait de la caducité de la feuille de route – que la Résolution 1633 avait assignée au Premier Ministre et dont l’objectif primordial était de ramener la paix et la sécurité dans le pays ainsi que la désignation d’un gouvernement démocratique et légitime. Aussi parut-il non seulement utile, mais nécessaire et urgent de définir un autre cadre engageant la future transition politique en Côte d’Ivoire après le 31 Octobre 2006. Ce cadre est dressé par l’Union Africaine par sa décision prise en date du 17 Octobre 2006, qui servit de formulation à la Résolution 1721.

LA FORMULATION DE LA RESOLUTION 1721 DANS LA DECISION DU CONSEIL DE PAIX ET DE SECURITE DE L’UNION AFRICIANE DU 17 OCTOBRE 2006

La réunion d’Addis-Abéba du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l’Union Africaine (UA) en date du 17 Octobre 2006 prévoyait le cadre nouveau de l’échiquier politique ivoirien. Ayant pris la mesure des avancées rappelées ainsi que des blocages dans l’avancement vers la sortie de crise et la paix, la haute instance a suggérée des perspectives permettant d’organiser et réaménager le cadre de l’exercice du pouvoir au sein du pouvoir exécutif ivoirien durant la nouvelle période de transition qui s’ouvre après le 31 Octobre 2006. Dans le communiqué final de cette réunion consacrée essentiellement à la crise ivoirienne, le CPS de l’UA fait connaître sa décision, qui au fond ne fait que reprendre les recommandations faites le 06 Octobre 2006 par la CEDEAO. La décision comporte deux volets :

1°) – Le premier volet confire les deux têtes de l’Exécutif :

a) – Le président de la République et le Premier Ministre sont reconduits, dans leurs fonctions respectives ;

b) – La période d’exercice des fonctions ne peut excéder douze mois.

2°) – Le deuxième volet concerne le renforcement des pouvoirs du Premier Ministre :

a) – Le Premier Ministre bénéficiera de pouvoirs encore plus élargis. Ainsi, « en Conseil des ministres, il lui sera possible de prendre des ordonnances ayant force et valeur de décret-loi ».

b) – « Le Premier Ministre disposera de l’autorité nécessaire sur toutes les forces intégrées de défense et de sécurité ivoiriennes pour lui permettre d’exécuter les tâches qui lui sont assignées ».

Telle est la formulation des deux plus importantes décisions du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union Africaine entérinée par le Conseil de Sécurité dans la Résolution 1721.

II. L’ANALYSE DU TEXTE DE LA RESOLUTION 1721

La Résolution 1721 est un texte long comportant 33 paragraphes, que précède une longue introduction faisant le rappel de l’ensemble des étapes de recherche de la solution à la crise au niveau de la communauté internationale. L’analyse y fait très clairement apparaître la volonté marquée et explicite de la Communauté internationale de souscrire à la constante de son intervention dans la crise ivoirienne, certes en se conformant aux diverses mesures antérieures, mais aussi et surtout en assurer l’élargissement et le renforcement des pouvoirs du Premier Ministre.

II. UNE RESOLUTION CONFORME AUX MESURES ANTERIEURES

Le 1er Novembre 2006, la résolution 1721, présentée par la France au Conseil de Sécurité de l’ONU, est votée et adoptée. Malgré la réserve initiale de certains Etats disposant du droit de veto (par exemple, la Chine et l’URSS), elle a fin par réunir les conditions nécessaires à son adoption. Toutefois, le texte initial a subi plusieurs modifications. Par exemple, la France a suggéré qu’en cas de contradiction entre la Résolution et la loi fondamentale, c’est la Résolution qui s’appliquerait. Elle n’a pas été suivie par les autres membres du Conseil de Sécurité, ce qui a conduit à remanier le texte pour obtenir celui qui est le lus convenable.

Dans la Résolution 1721, le ton en est donné dès le préambule, telle une solution de dernière heure : « Devant la persistance de la crise en Côte d’Ivoire et l’impossibilité de respecter le calendrier électoral initialement prévu, le Conseil a adopté (…) une résolution visant à mettre pleinement en œuvre le processus de paix dans ce pays et à y organiser d’ici le 31 Octobre 2007 des élections présidentielles et législatives libres, ouvertes, régulières et transparents. Présentée par la France, la Résolution 1721 (2006) a été adoptée à l’unanimité des 15 membres du Conseil. »

La Résolution 1721 est également une mesure qui lie l’Etat de Côte d’Ivoire, dès lors qu’elle est prise par le Conseil de Sécurité recourant à la mise en jeu de son pouvoir de contrainte. La mention en est indiquée dans le préambule, en ces termes : « Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, le Conseil déclare que l’application intégrale de ladite résolution et du processus de paix sous la conduite du Premier Ministre, M. Charles Konan Banny, exige des parties ivoiriennes qu’elles s’y conforment totalement et n’invoquent aucune disposition légale pour faire obstacle à ce processus. » Ainsi, la solution proposée n’est pas facultative au gré des parties, mais bien obligatoire et impérative.

La Résolution 1721 se situe dans le droit fil des prévisions implicites contenues dans toutes les étapes antérieures : « Rappelant ses résolutions antérieures et les déclarations de son Président concernant la situation en Côte d’Ivoire…, Rappelant qu’il a entériné l’Accord signé par les forces politiques ivoiriennes à Linas-Marcoussis…, approuvé par la Conférence des chefs d’Etat sur la Côte d’Ivoire tenue à Paris, le 25 et 26 Janvier 2003, l’Accord signé à Accra le 30 Juillet 2004 (l’Accord d’Accra III) et l’Accord signé à Pretoria le 6 Avril 2005(l’Accord de Pretoria)…Félicitant l’Union africaine, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest et les dirigeants de la région…Rendant hommage au Président Thabo Mbeki, pour les efforts inlassables qu’il a déployés a service de la paix et de la réconciliation en Côte d’Ivoire et les nombreuses initiatives qu’il a prises pour faire avancer le processus de paix en sa qualité de Médiateur de l’Union africaine…, Saluant les efforts continus du Représentant spécial du Secrétaire général, M. Pierre Schori, du Haut Représentant pour les élections, M. Gérard Stoudmann et du Groupe de travail international (GTI), et leur réitérant ses salutations… Réaffirmant son appui aux forces impartiales, à savoir l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) et les forces françaises qui lui apportent leur appui humanitaire commises en Côte d’Ivoire…, Considérant que la situation en Côte d’Ivoire continue de mettre en péril la paix et la sécurité internationales dans la région. »

Ces idées contenues dans le préambule de la Résolution se trouvent renforcées dans diverses dispositions pertinentes des paragraphes. Elles peuvent être mises en exergue dans plusieurs passages.

D’abord, il en est ainsi dans le Paragraphe I : « Le Conseil de sécurité…souscrit à la décision du Conseil de Paix et de Sécurité de l’UA(…), affirme que ces dispositions sont destinées à s’appliquer durant la période de transition jusqu’à ce qu’un Président nouvellement élu prenne ses fonctions et qu’une nouvelle assemblée nationale soit élue. »

Ensuite, il en est ainsi dans le Paragraphe 5, §5 : « …Souscrit à la décision du Conseil de Sécurité selon laquelle le Président Laurent Gbagbo demeurera Chef de l’Etat à partir du 1er Novembre 2006 pour une nouvelle et dernière période de transition n’excédant pas 12 mois. »

Enfin, il en est ainsi dans le Paragraphe 6 : « …approuve la décision du Conseil de Paix et de Sécurité de l’UA de prolonger le Mandat du Premier Ministre, Charles Konan Banny, à partir du 1er Novembre 2006, pour une nouvelle et dernière période n’excédant pas 12 mois, et sa décision selon laquelle le Premier Ministre ne pourra se présenter à l’élection présidentielle qui sera organisée avant le 31 Octobre 2007. »

Dans cet arsenal juridique permettant de mesurer sa conformité et sa fidélité aux mesures antérieures, la Résolution 1721 laissent découvrir dans des termes expressément formulés la volonté d’assurer l’élargissement et le renforcement des pouvoirs du Premier Ministre.

II. UNE RESOLUTION ASSURANT UN ELARGISSEMENT ET UN RENFORCEMENT DES POUVOIRS DU PREMIER MINISTRE

La Résolution 1721 est une mesure impérative non pas seulement parce qu’elle a été prise sous le Chapitre VII, section 2 de la Charte des Nations Unies. Elle conserve un caractère obligatoire par rapport aux pouvoirs anciens et renforcés ou nouveaux venant en élargissement de ceux confiés au Premier Ministre, et au besoin assortis de sanction en cas d’entrave.

Ainsi, le Premier Ministre, mandataire de la conduite de la sortie de crise, se trouve dots de pleins pouvoirs qu’une lecture attentive permet de mettre en lumière. Trois aspects paraissent les plus importants.

Le premier concerne le pouvoir de prendre des décrets-lois ou/et des ordonnances. Il est écrit au paragraphe 8 que : § 8 : « Le Conseil de Sécurité…souligne que le Premier Ministre, pour l’exécution du mandat mentionné au paragraphe 7 ci-dessus, doit disposer de tous les pouvoirs nécessaires, de toutes les ressources financières, matérielles et humaines requises et d’une autorité totale et sans entraves, conformément aux recommandations de la CEDEAO en date du 6 Octobre 2006, et qu’il doit pouvoir prendre toutes les décisions nécessaires, en toutes matières, en Conseil des Ministres ou en Conseil de Gouvernement, par ordonnance ou décret-loi. »

Un tel pouvoir paraît excessif et manifestement contraire à la constitution ivoirienne en vigueur qui confère les pouvoirs en matière d’ordonnance et de décret au seul Président de la République (article 41 et 75 de la Constitution Ivoirienne de l’an 2000).

Le deuxième concerne les pouvoirs du Premier en matière de défense et de sécurité. Il est écrit au paragraphe 9 que : « Le Conseil de Sécurité…souligne également que le Premier Ministre, pour l’exécution du mandat mentionné au paragraphe 7 ci-dessus, doit disposer de…toute l’autorité nécessaire sur les forces de défense et de sécurité de Côte d’Ivoire ».

De tels pouvoirs sont contraires à la Constitution qui fait du Chef de l’Etat, le Chef de l’administration civile, diplomatique et militaire, et le Chef des Armées, disposant des forces de l’ordre et de sécurité en temps de paix comme en temps de guerre (Constitution Ivoirienne de l’an 2000, art. 41,45,46,47).

Le troisième est relatif au mandat spécifique du Premier Ministre au regard de la feuille de route de sortie de crise. Le paragraphe 7 est ainsi libellé : « Le Conseil de Sécurité de l’ONU souligne que le Premier Ministre aura pour mandat de mettre en œuvre toutes les dispositions de feuille de route établie par le GTI et des accords conclus entre les parties ivoiriennes en vue de l’organisation d’élections libres, ouvertes, régulières et transparentes d’ici le 31 Octobre 2007 au plus tard avec l’appui de l’Organisation des Nations Unies et de donateurs potentiels, et de conduire en particulier :

ü Le Programme de Désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR) ;

ü Les opérations d’identification de la population et d’enregistrement des électeurs en vue d’établir les listes électorales crédibles ;

ü Les opérations de désarmement et de Démantèlement des milices ;

ü La restauration de l’autorité de l’Etat et le redéploiement de l’administration et des services publics sur l’ensemble du territoire ivoirien ;

ü La préparation technique des élections ;

ü La restructuration des forces armées, conformément au paragraphe 17 de la décision du Conseil de Paix et de Sécurité et à l’alinéa f) du paragraphe 3 de l’Accord de Marcoussis ».

S’il est vrai que pour les tâches techniques de conduite et de préparation des opérations (par exemple : identification, liste électorale), le mandat pêche quant à sa mise en œuvre, cela est lié à l’exercice de l’autorité qui empiète sur les compétences traditionnelles du Chef de l’Etat. Par exemple : la restructuration des forces armées dont le Président est le Chef, la restructuration et le redéploiement de l’Administration dont le Président est le Chef…

L’analyse des diverses dispositions fait clairement apparaître le subterfuge par lequel, sous les artifices juridiques de la Résolution 1721, l’initiateur de la mesure a voulu faire endosser à la communauté internationale une modification de la Constitution qui ne dit pas son nom. Au demeurant le crime est parfait puisque, non seulement par l’application de la Résolution 1721 la Constitution se trouve bafouée, écartée, ignorée, mais aussi le refus ou la Résistance y opposés exposerait le contrevenant à la sanction. Sur ce point, le paragraphe 32 de la Résolution visée est sans ambiguïté : « Le Conseil de Sécurité de l’ONU souligne qu’il est totalement prêt à imposer des sanctions ciblées contre les personnes, désignées par le comité (…) qui sont reconnues, entre autres choses, comme entravant la mise en œuvre du processus de paix, y compris en attaquant ou en laissant obstacle à l’action de l’ONUCI, des forces françaises qui la soutiennent, du Haut représentant en Côte d’Ivoire, comme responsables de violations graves des graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire… »

Au total : l’analyse du texte fait apparaître que la Résolution 1721 est une mesure vigoureuse, qui tend à modifier la Constitution ivoirienne a été saluée comme une bonne loi fondamentale dans la quasi-totalité des instruments juridiques visant à restaurer la paix en Côte d’Ivoire. Elle entend embrigader le chef de l’Exécutif, dès lors que transparaît l’intention manifeste de faire du Premier Ministre la clé de voûte de tout le système politique nouveau à construire. Prise dans le droit fil des accords de paix et des résolutions antérieures, son effectivité est attestée. Reste à en mesurer l’effectivité à l’application.

III. L’APPLICATION DE LA RESOLUTION 1721

L’application de la Résolution 1721 fait apparaître clairement l’absence d’efficacité d’une telle mesure. De sorte que son effectivité reste bien théorique, dès lors que son application se révèle d’une efficacité douteuse pour deux raisons au moins. D’une part, elle conduit à une dénaturation du régime politique. D’autre part, elle est une réponse inconvenante pour la sortie de crise et le retour à la paix sociale.

III. 1 LA RESOLUTION 1721, UNE DENATURATION DU REGIME POLITIQUE

L’efficacité, c’est-à-dire, sa capacité à donner une solution à la fois pacifique et acceptable comme avantageuse dans le dénouement de la crise. La réception de cette résolution comme sa précédente, la Résolution 1633, fut très mitigée en raison des attitudes très contradictoires tant dans la population qu’au niveau des acteurs de la vie politique : ni unanimité dans les partis politiques, ni consensus dans les institutions d’Etat. Toutefois, le fait que la mesure soit prise sous le chapitre VII de la Charte de l’ONU oblige l’Etat à se soumettre. Il s’agit d’en dresser une esquisse de bilan de l’application au contexte, à la Côte d’Ivoire.

S’il est vrai que la Résolution 1721 du Conseil de Sécurité des NU s’inscrit dans une logique de résolution de la crise politique qui n’a que trop duré et qui devait débucher sur une période de reconstruction, il ne doit pas être fait l’économie des difficultés d’application qui présage de ce que cet autre médicament, prescrit après celui de Marcoussis, est tout aussi inconvenable et inconvenant pour guérir le malade. En effet, l’application de la Résolution 1721 présente divers signes de faiblesse dans la mesure où elle introduit une certaine perturbation quant à la nature du régime politique, quant à la hiérarchie des ordres au sein de l’Exécutif ; quant aux liens d’allégeance nés du bicéphalisme réel de l’Exécutif, quant à la concurrence des pouvoirs de décisions au sein de l’Exécutif.

L’article 41 de la Constitution ivoirienne est sans équivoque, le régime est de type présidentiel. Il s’agit d’un régime présidentialiste, c’est-à-dire inspiré régime présidentiel, avec une prépondérance du Président de la République à qui revient en totalité l’exercice du pouvoir exécutif. Par exemple : aux USA, le Président exerce seul le pouvoir, alors qu’il est secondé d’un Vice-Président. En Côte d’Ivoire, il résulte de l’article 41 al. 2 de la Constitution de l’an 2000 que le Premier Ministre n’est que le « premier des ministres », nommé par le Président de la République et responsable devant lui.

Toutefois la crise a fourni l’occasion d’une déviation de ce schéma constitutionnel, en raison du mode de nomination du Premier Ministre, et des pouvoirs qui lui sont reconnus. La nomination est quasiment imposée au Président de la République qui est tenu d’entériner le choix fait par la communauté internationale. Les pouvoirs du Premier Ministre ne sont plus seulement ceux qu’il tire expressément de la Constitution ou/et par du Président de la République, mais aussi et surtout ceux découlant de la Communauté internationale, notamment des résolutions de l’ONU, en l’occurrence : la Résolution 1721 qui traduit et renforce la 1633. L’une et l’autre prévoyant des pouvoirs élargis à conférer au Premier Ministre en vue de l’accomplissement de sa mission, le régime politique s’en trouve perturbé.

Il en résulte diverses interrogations sur la nature du régime politique ivoirien.

Le régime ivoirien est-il présidentiel ? Non ! Le Premier Ministre n’est pas choisi par le Président. Il est simplement nommé par le Président, qui n’a alors qu’un rôle symbolique. Question : le président peut-il refuser de nommer le Premier Ministre Identifié à lui proposé pour nomination ? Quelle en seraient les conséquences ?

Le régime ivoirien est-il parlementaire ? Non ! Le premier Ministre est un leader issu de la compétition électorale parlementaire (comme en Grande-Bretagne ou en France). Il n’est pas l’émanation d’une formation politique ou d’une coalition parlementaire pour le pouvoir (comme en Allemagne, en Autriche, ou en Italie, dans une certaine mesure au Japon).

Le régime ivoirien est-il monarchique ? Non ! Le monarque tient son sacre d’autre règle d’accession au pouvoir et d’autres rites que ceux prévus pour l’accession au pouvoir du Président de la République et du Premier Ministre. Sans doute, l’exclusivité de détention du pouvoir exécutif reconnue par la Constitution du Président de la République (Constitution, art. 41) pourrait laisser le croire. Il en est rien, en raison de la limitation du Mandat (Constitution, art.34 élu pour cinq ans(05), il n’est rééligible qu’une seule fois), du contrepoids que constitue l’Assemblée notamment dans le contrôle de l’action gouvernementale et de l’action de législation, et du contrôle que peuvent exercer sur son statut et ses décisions les juges (notamment le juge administratif et le juge constitutionnel). Contrairement à l’adage le roi ne peut mal faire, aujourd’hui le Président peut mal faire, ses actes peuvent être contrôlés, il peut perdre le pouvoir ou être destitué. Quant au premier Ministre, il peut être nommé et révoqué par le Président de la République. Question : le Premier Ministre de la Réconciliation pet-il être révoqué ? Peut-il démissionné ou être démissionné ?

On mesure également les effets induits s’agissant de la hiérarchie des ordres au sein de l’Exécutif : qui est le Chef des armées ? Quels sont les liens d’allégeance des membres du gouvernement dans leurs rapports avec le Chef de l’Etat et avec le Chef du Gouvernement ? Comment résoudre les conflits de compétences ? Quel est désormais l’ordre de la hiérarchie protocolaire au sein de l’Exécutif ? En d’autres termes : qui gouverne aujourd’hui la Côte d’Ivoire : le Président de la République ou le Premier Ministre ? Autant de questions dont les réponses varient au gré des appartenances, y compris contre la vérité du droit.

III. 2 UNE REPONSE INCONVENANTE POUR LA SORTIE DE CRISE ET LE RETOUR A LA PAIX SOCIALE

Sans doute est-il encore trop tôt pour faire un bilan complet de la Résolution 1721. Toutefois le début d’application a permis de comprendre que, dans les milieux politiques, l’accueil qui lui est fait est très contrasté, tandis que la tendance hostile lui est opposée en majorité dans la société.

Le premier Ministre usant des pouvoirs dont il en a été investi semble avoir essuyé deux échecs qui donnent la mesure de ce que peut en être l’application à la lettre et à tout prix. Le premier échec est illustré par les sanctions prises à la suite de l’enquête relative aux déchets toxiques. Le second est la difficulté à mettre en œuvre contre l’option réservé du Chef de l’Etat, le programme des opérations d’audiences foraines. Le tandem n’existe plus, parce que le duo est devenu un duel dès le début de l’application de la Résolution 1721.

CONCLUSION

L’avantage de la Résolution 1721 est d’avoir évité le vide constitutionnel. Intervenant au terme du délai fixé pour des élections présidentielles qui n’ont pu se tenir, ni même commencé à être organisées, elle nous sauve de l’hypothèse du chaos qui auraient définitivement emporté la Côte d’Ivoire.

Toutefois, il a pour inconvénient principal d’être assurément une résolution de plus, qui n’est acceptable et applicable que dans les points compatibles avec la volonté du peuple, et en l’occurrence de la Constitution ivoirienne. Il en est ainsi, par exemple, du maintien au pouvoir du Président élu, jusqu’à l’élection du nouveau président. Dans ses dispositions contraires à la Constitution, la Résolution 1721 demeure ce « médicament » administré par erreur de diagnostic, et qui ne peut donner ou redonner la santé au malade, à moins que l’insistance ne soit que révélatrice du médecin de tuer le malade, non pas pour des raisons d’euthanasie, mais bien par une méchanceté. L’image clinique et médicale, transposée dans le domaine politique, ne fait que révéler la volonté de domination, de soumission, de recolonisation de la Côte d’Ivoire affichée par quelque colonisateur qui est aujourd’hui trop visible et connu pour n’être pas désigné et même nommé : la grande France est l’artisan de la 1721 comme de toutes les précédentes qui ont fait tant de mal à la Côte d’Ivoire.

En prenant la Résolution 1721, qui épouse en tous points la décision du Conseil de Paix et de sécurité de l’Union Africaine, le Conseil de Sécurité de l’ONU semble avoir choisi d’oublier le problème initial à l’origine de la crise ivoirienne, pour proposer une solution qui satisfait à d’autres intérêts économiques et hégémoniques plutôt qu’à la souhaitable et nécessaire paix en Côte d’Ivoire, et pour la Côte d’Ivoire.

Le problème initial était, non pas un rapport de force entre le Premier Ministre et le Chef de l’Etat, mais bien plutôt une attaque perpétrée contre la Côte d’Ivoire et le gouvernement légitime et légal par une partie de la population qui a pris des armes. Curieuse solution que celle qui prétend apaiser en occultant le fond de ce qui divise les Ivoiriens. Contradictoire attitude que celle de la France qui après avoir enseigné les rudiments de l’Etat de droit moderne à la Côte d’Ivoire s’allie désormais à l’ennemi de l’Etat de droit avoir lequel elle a passé un pacte de non agression. Paradoxale situation que celle par laquelle le mieux semble devenir définitivement l’ennemi du mieux…

La Résolution 1721 consacrant le mieux comme l’ennemi du bien, y a-t-il encore de l’espoir pour l’avenir de la Côte d’Ivoire ?

La Côte d’Ivoire est en quête de cohésion sociale et de paix. Par-delà cette paix des hommes que l’on croit obtenir lorsque cessent les bruits des canons et la musique affligeante des orgues de Staline, le droit peut révéler son absolue impuissance comme l’illustre aujourd’hui le désenchantement saluant la Résolution 1721 du Conseil de Sécurité de l’ONU. Dès lors, la solution à la crise, la paix à rechercher n’est seulement celle du droit, mais bien plutôt celle de la conscience, celle du cœur et de l’âme. La solution se trouve ainsi dans la recherche de la paix par laquelle et dans laquelle se lèvera un jour nouveau sur la Côte d’Ivoire, cité à bâtir telle la nouvelle cité où « tout ensemble faisant corps ». En cette œuvre, le symbolisme exerce un prisme fondateur dont il importe de décoder et dévoiler le sens dans le signe et l’insigne. St Jean en trace la voie, dans le chapitre 17 verset 21 de l’évangile, énonçant que « tous soient un ».

Cet enseignement semble également désormais inspirer les hommes politiques de premier plan dans la recherche de solution à la crise, dès lors qu’ils souhaitent en inaugurer le dialogue direct entre ivoiriens à l’exclusion des étrangers et de la communauté internationale, tant il est vrai que tous se convainquent, à présent et peu à peu, de ce que la solution ne viendra pas d’ailleurs mais des ivoiriens eux-mêmes. Cela veut dire aussi que la résolution en tant que texte juridique est dépassée, comme le sont l’immobilisme et le caporalisme par lesquels contenir la Côte d’Ivoire. A chaque ivoirien de renoncer à la division que veut maintenir artificiellement la communauté internationale entre les politiques et entre les ivoiriens.

Que les ivoiriens se prennent à rêver de la Côte d’Ivoire telle une nouvelle Jérusalem, quoi de plus louable et plus légitime ? Pourtant, il reste à assumer le paradoxe fondamental inhérent à cette option. La réalité de Jérusalem n’a jamais été paisible. Pendant longtemps faite de pleurs et de rires, d’humiliations et d’exaltations, de honte et de triomphe, Jérusalem a fini par s’imposer par la révélation du Christ à diverses nations, dont chacune, dans sa spécificité, est déjà une « nouvelle Jérusalem ».

Au moment où, tel Job, la Côte d’Ivoire est « devenue lépreuse, méprisable au jugement implacable et majoritaire de l’opinion internationale[239] », il lui reste l’espoir des lendemains nouveaux. Il reste à tous les hommes de bonne volonté, homme de paix qui travaillent à construire ou reconstruire la Côte d’Ivoire, de placer en Dieu l’espérance promise à l’homme, et à l’humanité, espérance qui se trouve dans l’engagement à la fois humain et moral de l’attente vigilante que soient révélées au grand jour les ouvres de la nuit, pour que « Diaboliques se révèlent et se dévoilent encore mieux un jour, en pleine lumière, les plans de ceux qui, de l’intérieur, en complicité avec leurs partenaires extérieurs, ont entrepris d’affaiblir les structures étatiques du pays pour ainsi anéantir les chances d’émergence d’une nation digne de ce nom[240]. »

Dans les confessions religieuses autant que dans l’attitude priante, chacun cherche la solution à la crise ivoirienne. Dans les églises et les mosquées, les prières en faveur du retour de la paix et au bonheur en Côte d’ivoire ne font que confirmer la nécessité de partir – ou plutôt de repartir – du Christ lui-même[241], et de l’Eglise, à travers l’Evangile qui en est la tradition vivante de la foi, de cette foi que célébrait et magnifiait le poète en ses mots si choisi qu’ils semblent d’une éternelle actualité. Souvenons-nous en et méditons-la toujours : « Vous tous qui pleurez, venez à Dieu, car il pleure/Vous qui souffrez, venez à lui, car il guérit/Vous qui tremblez, venez à lui, car il sourit/ Vous qui passez, venez à lui, car il demeure[242] ».

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